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Lieu : Avignon, Vaucluse, France

mercredi 27 octobre 2010


Assemblée nationale - première séance du mardi 26 octobre 2010


dette sociale - motion de rejet préalable


Monsieur Alain Vidalies (PS)


Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de faire trois observations préliminaires.

La commission mixte paritaire au cours de laquelle a été élaboré le texte que nous examinons restera dans l’histoire.

En effet, lors de sa réunion, nous nous sommes trouvés dans une situation singulière : le rapporteur de la commission saisie au fond et le rapporteur et le président de la commission saisie pour avis avaient disparu ; il ne restait plus que Mme Montchamp et trois soldats manifestement étrangers au problème, mais qui disposaient d’une feuille de route dont ils ont parfaitement exécuté les instructions.

..

À nouveau, ce soir, le président de la commission des affaires sociales est toujours absent, de même que le rapporteur pour avis tandis que le rapporteur de la commission au fond a été rétrogradé…au rang de citoyen député de base

M. Jean-Luc Warsmann. Ce qui est très honorable !

M. Alain Vidalies. J’en conviens.

Il reste que la situation est très particulière ; elle est même sans précédent dans l’histoire. J’ai vérifié : depuis cinquante ans, aucun ministre n’avait réussi à faire disparaître les rapporteurs du texte qu’il défendait devant le Parlement. (Rires et applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)...

Monsieur Baroin, voilà déjà une chose que vous avez réussi à inscrire dans l’histoire avec nous. Je vous souhaite de laisser d’autres traces, mais c’est déjà cela de fait. (Sourires.)...

La disparition des rapporteurs m’a tout de même inquiété. Et si elle était définitive ? Voilà que j’ai été amené à faire ce que je n’aurais jamais cru devoir faire : j’ai évoqué leur mémoire en CMP. Le retour de M. Warsmann est une bonne nouvelle. Il n’y avait donc pas de problèmes médicaux mais bien un problème politique.

Monsieur le ministre, vous venez de faire, comme à votre habitude, une brillante démonstration expliquant que vous aviez choisi de ne pas toucher aux impôts et que vous ne toucherez donc pas à la CRDS. Cependant, il y a quelques semaines, j’ai lu une série de déclarations, dans des articles de presse non démentis, selon lesquels si, en 2013, les choses n’allaient pas mieux, il faudrait augmenter la CRDS. Sauf confusion de ma part, il me semble que vous êtes bien l’auteur de ces déclarations réitérés.

M. François Baroin, ministre du budget. Cela prouve que vous ne m’avez pas lu !

M. Alain Vidalies. J’ai lu les propos que vous avez réitérés. Votre engagement ne vaut donc que jusqu’en 2012 – certains auraient dit qu’il ne vaut que pour ceux qui vous écoutent. C’est bien le fond du débat.

M. François Baroin, ministre du budget. Avec l’expérience qui est la vôtre, vous croyez donc encore ce que dit la presse !

M. Alain Vidalies. Vous nous reprochez de vous accuser de transférer la dette aux générations futures. Ce n’est pas un changement de génération, avez-vous déclaré à plusieurs reprises.

Je l’avoue, je ne suis pas très fort en mathématiques, mais il me semble bien que ceux qui vont devoir rembourser sont ceux qui seront sur le marché du travail à partir de 2022 ou ceux qui y seront toujours.

Or, ceux qui commenceront à travailler à l’âge de dix-huit ans en 2022 ont aujourd’hui quatre ans. Ce sont donc bien nos enfants que nous allons obliger à rembourser la dette. Telle est votre décision politique, et vous pouvez l’assumer. Mais ne dites pas qu’elle n’aura pas de conséquences : vous êtes en train de transférer vos dettes à ceux qui manifestent aujourd’hui. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.) Cela vous choque, n’est-ce pas, chers collègues de droite ? Qu’ils sont horribles, ces gens de gauche, pensez-vous.

M. Philippe Vitel. C’est la façon dont vous raisonnez qui nous choque !

M. Alain Vidalies. Pourtant, je ne fais que dire la même chose que M. Warsmann et M. Bur. La situation est en effet à ce point singulière que l’article 1er du texte – qui en est le cœur – a été rejeté à l’unanimité par la commission des lois et la commission des affaires sociales. Où sont passés les députés de droite qui ont voté contre ?.. Seuls sont présents, ce soir, les bons soldats, capables de voter ce que M. Warsmann qualifie d’escroquerie.

M. François Baroin, ministre du budget. Il est allé loin, mais pas jusque-là, tout de même !

M. Jean Mallot. C’est vrai, il a parlé de cavalerie.

M. Alain Vidalies. Jamais nous n’aurions pu trouver de mots plus durs que ceux de M. Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Je n’ai pas besoin de porte-parole !

M. Alain Vidalies. Je n’ai pas cette prétention, monsieur le président Warsmann ; je ne suis que votre modeste imitateur. (Sourires.) Jamais nous n’aurions pu, disais-je, trouver de mots plus durs que les vôtres : « Nous ne pouvons pas accepter de faire sauter le système actuel en supprimant l’obligation d’apporter des recettes pérennes ou en reportant le délai prévu. Il me semble qu’aucun parlementaire ne pourrait s’y résoudre en son âme et conscience. »... Et vous ajoutez : « On va emprunter pour faire payer une partie du prix des boîtes de médicaments consommés actuellement par nos concitoyens, une partie des soins médicaux et des prestations sociales, par les Français qui travailleront au-delà de 2022, c’est-à-dire faire des emprunts à long terme, à quinze ans, pour payer des déficits de fonctionnement. Lancer des emprunts lorsque l’on sait que l’on n’a pas l’argent nécessaire pour les rembourser, cela s’appelle faire de la cavalerie. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Quant à M. Bur, il a déclaré : « Je considère qu’il est de notre responsabilité morale de cesser de nous décharger de nos responsabilités financières quotidiennes sur nos jeunes. »

Je veux saluer le sens des responsabilités et le courage, en cette période particulière, dont ont fait preuve ceux qui, dans la majorité, sont allés jusqu’au bout de leur engagement.

Je parle d’engagement parce que nous avons déjà débattu de cette question, en 2005. Or, à cette époque, la réponse apportée ne fut pas celle de la seule majorité, confrontée à une opposition hostile. En effet, la loi organique de 2005, nous l’avons votée avec vous. Il nous avait semblé nécessaire de fixer, pour l’avenir, un cadre commun défini dans une loi, dont le caractère organique a été confirmé par le Conseil constitutionnel et par laquelle nous nous engagions collectivement à ne pas refaire en 2020 ce que nous faisions sous la contrainte jusqu’alors.

Ce projet de loi organique est ainsi le constat d’un double échec.

Le premier échec est celui de la loi de 2003 sur les retraites, car n’oublions pas que ce texte définit les modalités du siphonage du Fonds de réserve des retraites. Vous vous étonnez de voir les jeunes descendre dans la rue actuellement, mais c’est une première raison pour eux de manifester, car ils sont en droit de se demander ce qui se passera après 2020, lorsque les 31 milliards d’économies que ces imprudents de socialistes avaient mis de côté en 1997 seront dilapidés.

Le second échec, c’est celui de la loi organique de 2005, puisque nous allons la défaire, pour recommencer ce que nous nous étions collectivement engagés à refuser.

Lorsque le débat est né, vous avez accepté d’entendre le Parlement. En effet, non seulement le texte visait à allonger la durée des cotisations, mais il affectait à la CADES des recettes dont la caractéristique était de ne pas être pérennes ; autrement dit, on ne savait même pas si l’on serait en mesure de rembourser. Vous avez donc eu cette idée extraordinaire qui consiste à affecter des recettes pérennes de la sécurité sociale à la CADES et de transférer les recettes de celles-ci, toujours aussi incertaines, à la branche famille. Résultat : vous avez tous reçu, comme nous, les courriers de l’Union des familles rurales de France ou de l’UNAF s’inquiétant d’une démarche qui crée une incertitude quant au financement, à hauteur de 1 milliard, de la branche famille de la sécurité sociale à l’horizon 2012.

Ce jeu de bonneteau relève de la politique du sapeur Camember. Tout cela ne convainc que ceux qui l’étaient par avance.

Au fond, même si vous l’avez un peu abordé, monsieur le ministre, vous esquivez le débat de fond, qui porte sur le modèle social. Seuls deux types de réponses sont possibles, me suis-je dit : soit on diminue les dépenses, soit on augmente les recettes.

Eh bien, je me suis trompé,…car c’était sans compter sur le génie de l’UMP : une autre solution (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), bien meilleure, consiste à emprunter pour payer ses dettes !

Vous nous proposez ainsi une sorte de crédit revolving public. Nous n’aurions probablement pas été d’accord avec une partie de la majorité sur les solutions à apporter, mais nous aurions pu au moins en discuter.

Pourquoi avez-vous esquivé ce débat de fond ? Parce qu’il aurait porté sur les résultats de votre politique. Vous ne pourrez jamais faire oublier que la situation est, certes, pour partie due à la crise, mais qu’elle résulte également de la politique que vous avez menée.

Dans son rapport, M. Gilles Carrez, rapporteur général du budget, établit ainsi qu’entre 2000 et 2009, l’État a perdu, à législation constante, entre 101 et 119 milliards d’euros de recettes annuelles. Ces sommes sont considérables ! M. Carrez est-il le seul à le dire ? Non. Vous connaissez certainement, monsieur le ministre, le rapport sur la situation des finances publiques de M. Champsaur, président de l’autorité de la statistique publique, et de Jean-Philippe Cotis, directeur général de l’INSEE, dans lequel on peut lire : « En l’absence de baisse des prélèvements, la dette publique serait environ vingt points de PIB plus faible aujourd’hui qu’elle ne l’est en réalité. »

Ainsi, le débat que vous ne voulez pas aborder, c’est celui qui porte sur le résultat, pour les caisses de l’État, de la politique que vous avez mise en œuvre depuis dix ans et que vous persistez à mener. Monsieur le ministre, vous nous reprochez de faire comme si la crise n’avait pas existé. Mais vous ? Avant et après la crise, vous menez la même politique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Vous avez annoncé que vous alliez diminuer les impôts pour relancer la machine et favoriser la croissance. La réforme des retraites de 2003 partait ainsi du principe que l’emploi allait progresser et que vous pourriez transférer la cotisation de l’assurance chômage. Vous y croyiez, très bien ! Mais cette politique a échoué.

Ce que vous nous proposez aujourd’hui est irresponsable vis-à-vis des générations futures ; c’est une fuite en avant. Vous souhaitez en réalité faire oublier le débat et laisser passer 2012. Mais, ne vous en faites pas, nous serons présents. En attendant, il serait responsable de voter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

motion rejetée

2ème séance


explications de vote


...

M. Jean-Luc Warsmann. Dans une Assemblée nationale pourtant marquée par le fait majoritaire, encore accru par le climat de tensions sociales actuelles,… chacun a pu constater la force des oppositions au projet du Gouvernement de prolonger la durée de vie de la CADES : la commission des finances, saisie pour avis, qui critique, la commission des affaires sociales, saisie pour avis, qui refuse, la commission des lois, saisie au fond, qui refuse, une nouvelle tentative devant la commission des lois pour faire approuver cette position, rejetée à l’unanimité, le vote dans l’hémicycle dans les conditions que l’on sait, une commission mixte paritaire composée de manière inédite depuis 1958 dans le but d’être une chambre d’enregistrement – ce qu’elle a été.

Et nous voilà ce soir.

Mes chers collègues, j’ai eu l’occasion depuis le début de ce débat, tant en commission qu’en séance, d’exprimer les très fortes motivations qui m’amenaient à voter contre ce projet de loi. J’ai informé le Président de la République de cette position, j’ai voté contre le projet dans cet hémicycle, et je voterai à nouveau contre ce soir.

Mais je voudrais profiter de cette intervention pour envisager l’hypothèse que ce texte soit voté.

... Quelles en seraient les conséquences ?

Première conséquence, la loi de financement de la sécurité sociale pourrait autoriser à lancer des emprunts massifs, qui seraient remboursés par la création d’un nouveau prélèvement obligatoire, que paieraient les personnes qui travailleront en France entre 2022 et 2025.

Je ne souhaite absolument pas entrer dans la polémique. Est-ce un transfert aux générations futures ou pas ? Je n’en sais rien. Je me permets simplement de soumettre ce fait à l’attention de chacun : tous les enfants qui sont scolarisés aujourd’hui dans les écoles primaires de notre pays et qui choisiront de débuter leur vie professionnelle sans s’expatrier mais en travaillant en France commenceront leur vie professionnelle en payant un nouveau prélèvement obligatoire.

Cette taxe aura pour objet de rembourser une partie du coût des boîtes de médicaments, des soins médicaux et des prestations sociales que les Français auront dépensé entre 2009 et 2011. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Deuxième conséquence, la Caisse d’amortissement de la dette sociale sera autorisée à lancer de nouveaux emprunts, à condition que leur remboursement soit achevé en 2025 et que des recettes lui soient accordées pour les rembourser.

J’entends, de-ci, de-là, une interprétation des textes qui me semble totalement contraire à l’ordre constitutionnel et organique.

M. Daniel Garrigue. Vous avez malheureusement raison !

Mme Laurence Dumont. Nous pensons tous qu’il a raison mais seuls certains le disent !

M. Jean-Luc Warsmann. Selon cette interprétation, le texte ainsi voté permettrait au législateur ordinaire d’autoriser, dans une loi de financement de la sécurité sociale, la CADES à lancer des emprunts en mettant en face des recettes pour les rembourser, mais des recettes qui seraient prélevées sur le régime de sécurité sociale ou sur les organismes contribuant au financement de la sécurité sociale avant d’être transférées à la CADES.

M. Yves Bur. Stupéfiant !

M. Jean-Luc Warsmann. Une telle interprétation me semble incompatible avec les textes constitutionnels et organiques en vigueur, même après l’approbation de ce projet de loi organique.

Si on autorise un gouvernement à l’avenir à proposer, dans la loi de financement de la sécurité sociale, de transférer 10 milliards d’euros à la Caisse d’amortissement de la dette sociale et de rembourser ces 10 milliards d’euros avant 2025 en transférant une recette existante à la sécurité sociale – au hasard, une part de CSG – alors, optiquement, l’emprunt ainsi réalisé pourrait être remboursé tous les ans avant 2025 mais, au même rythme, se construirait une nouvelle dette sociale d’un montant supérieur aux 10 milliards d’euros transférés.

M. Yves Bur. Tout à fait !

M. Jean-Luc Warsmann. Mes chers collègues, depuis que la CADES existe, c’est-à-dire depuis 1996, le coût d’amortissement de la dette sociale est de 40 %. Si l’interprétation que je viens de décrire était permise, on autoriserait la CADES à lancer un emprunt de 10 milliards d’euros et à retirer des recettes au régime de sécurité sociale pour le rembourser. Mais, à l’issue du remboursement de l’emprunt, avant 2025, on aurait généré une dette sociale de 14 milliards d’euros.

En proposant la CADES, le gouvernement d’Alain Juppé…

M. Yves Bur. N’a pas imaginé cela !

M. Jean-Luc Warsmann. …n’a pas proposé une caisse d’aggravation de la dette sociale.

Il a proposé une caisse d’amortissement, pour que les dettes sociales soient remboursées au fil des ans.

Lorsque le législateur organique a introduit, en 2005, une date de fin de la CADES – je peux en témoigner à cette tribune ayant été l’auteur de l’amendement – que cherchait-il ? Il voulait qu’il y ait une date de fin de la dette sociale.

Il n’était pas question de créer, au fur et à mesure qu’on rembourse la dette sociale, une dette sociale encore supérieure et de se retrouver, à la date de fin de la CADES, avec une dette encore supérieure. Le projet de loi qui vous est présenté et qui décale de 2021 à 2025 ne change rien à ce principe.

Il me semble extrêmement important, pour le respect de notre ordre juridique constitutionnel et organique, qu’il soit constaté à ce stade, avant que la loi ne soit promulguée, qu’une interprétation qui autoriserait l’amortissement d’une dette sociale en retirant des recettes au régime de sécurité sociale est contraire à notre ordre juridique. Elle ne serait autorisée par notre ordre juridique que si les régimes de sécurité sociale étaient excédentaires, auquel cas il serait possible de leur retirer une partie des recettes créant l’excédent pour accélérer le remboursement de la dette sociale. Tant qu’ils ne sont pas excédentaires, ce n’est pas autorisé.

Cette question mérite d’être réglée avant la promulgation de la loi, il y va de l’ordre juridique de notre pays.

Si cette question n’était pas réglée, si cette interprétation était autorisée, cela reviendrait à autoriser le recours à des procédés qui ont mené la IVe République à sa perte. En effet, on transformerait en quelque sorte la CADES en compte spécial du Trésor, qui serait autorisé à faire des impasses budgétaires, à faire de la cavalerie budgétaire. Mes chers collègues, si cette interprétation n’était pas interdite, c’est un des acquis de la Ve République qui s’effondrerait.

En cette période où la fragilité financière de notre pays n’a jamais été aussi grande, il est, je crois, du devoir de chacune et de chacun de préserver notre pays de tels errements. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et NC.)


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