La fin de la parenthèse libérale
Préparant son projet pour 2012, les socialistes retrouvent une radicalité oubliée depuis les années 80. Fin de parenthèse libérale ou illusion du moment?
"Mademoiselle Delors" est de retour à "Paul-Val". Elle n’y était plus venue depuis l’année de son bac, en 1967, mais Martine Aubry y a fait samedi un retour remarqué pour le cinquantième anniversaire du lycée. "C’est peut-être la future présidente, vous vous rendez compte?", glousse une ancienne élève, sans qu’Aubry n’entende. Une présidente issue de Paul-Valéry, ce lycée du 12e arrondissement plus connu pour ses assemblées générales que pour ses résultats au bac? Ce serait tellement bien que tous ou presque réécrivent déjà l’histoire. "Elle était gentille et douce, elle travaillait et ne cherchait pas à se faire remarquer, elle aurait pu, elle était la fille d’un homme célèbre", confie Mme Farandjis, son ancienne prof d’histoire-géo en première. Martine Aubry savoure les compliments et se marre: "Vous voyez, on dit que j’ai changé, mais non, je suis la même!"
"On propose des choses qu’on ne proposait plus depuis des années"
En fait, Martine Aubry a bien changé. A Paul-Val, elle s’intéressait plus aux copains et au café d’en face, le Résident, qu’à la politique dans son bahut. Désormais, la politique est son destin. Et, cette semaine, elle vient de remettre la barre à gauche toute. Mardi dernier, elle a présidé le bureau national qui a lancé le projet du PS sur le nouveau modèle de développement. Le texte définitif sera acté le 27 avril et soumis au vote des militants le 20 mai prochain. Mais Pierre Moscovici, chargé de cette convention programmatique, se réjouit déjà: "On propose des choses qu’on ne proposait plus depuis des années, on a travaillé tous ensemble."
Ironie de l’histoire, c’est lui, Moscovici, longtemps réputé social-libéral, qui porte ce coup de barre à gauche. Il le porte, même si on sent la patte de Martine Aubry et de son directeur de cabinet Jean-Marc Germain dans le texte. Un retour au temps où la gauche s’assumait, comme si la parenthèse ouverte en 1983, lors du tournant de la rigueur et de l’alignement sur l’Europe, se refermait. Désormais, le PS fait swinguer des mots radicaux. "Juste échange", "sécurité sociale professionnelle", "révolution fiscale, impôt citoyen, avec fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG", "elocalisation du tissu industriel", "réindustrialisation", "société du bien-être", les thèmes et les propositions de ce nouveau modèle sont bien de gauche, fort éloignées du social-libéralisme souvent pratiqué par le PS au pouvoir.
"C’est l’Halloween des sociaux-libéraux, ils sont obligés de mettre un masque pour entrer dans la salle", résume Guillaume Bachelay, secrétaire national à l’Industrie, chantre du juste échange et de la social-écologie depuis des années: "Il y a des convergences fécondes, au sein du PS et même au sein de la gauche. Nous sommes pour une puissance publique qui intervient et qui ne se contente plus d’accompagner, nous sommes pour une société du lien et pas seulement des liens."
Hollande absent, Sapin mouché par Emmanuelli
Mardi en bureau national, les sociaux- démocrates bon teint comme François Hollande, Manuel Valls ou François Rebsamen n’étaient pas à la fête. Hollande n’était pas là, son ami Michel Sapin a juste eu le temps de subir l’ironie d’Henri Emmanuelli avant de s’éclipser. Le député des Landes qui n’a, lui, jamais cédé aux sirènes sociales-libérales a mouché l’ancien ministre de l’Economie et des Finances de Bérégovoy, aujourd’hui pourfendeur des déficits sur le thème: "Il faudra qu’on reconnaisse qu’on a participé à la désindustrialisation! On m’expliquait il y a quinze ans que les Chinois produiraient juste des espadrilles et il ne fallait pas avoir peur du libre-échangisme? Aujourd’hui, on voit bien que même les nouvelles technologies viennent de Chine." La gauche du PS est à la fête, enfin validée dans ses refus et ses espérances: "Le texte est de gauche, pas au sens “on est pour le smic à 1.500 euros”, mais parce qu’il affronte le capitalisme, se réjouit Pouria Amirshahi, secrétaire national aux droits de l’homme. Il parle de la réappropriation des sources et des moyens de production de l’énergie, on évoque un pôle public financier, on parle de coopératives…"
Pour Martine Aubry, c’est aussi un retour aux sources. Elle aussi a touché au social-libéralisme, jadis alliée et amie du patronat dans sa fondation Agir contre l’exclusion, et ministre sous Pierre Bérégovoy et sous Lionel Jospin. "C’était le gouvernement des 35 heures mais aussi des privatisations", rappelle Jean-Luc Mélenchon, ministre de 2000 à 2002. Mais, aujourd’hui, le député européen du Front de gauche ne veut pas croire que ses anciens camarades ont changé: "Le PS n’a plus de visée historique, c’est le parti du moment présent. Le PS est le parti de la force compassionnelle, il n’est plus un parti de révolution citoyenne. Le PS ne peut plus brouter plus loin que la longueur de la laisse qui le ramène au traité de Lisbonne". "Mademoiselle Delors" aura besoin de plus qu’une convention pour convaincre tout le monde que le PS a vraiment changé.
Cécile Amar - le Journal du Dimanche - 11 avril 2010
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