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Lieu : Avignon, Vaucluse, France

mardi 1 février 2011

Mohamed Harbi, René Gallissot, Nicolas Beau, Khadija Finan, Ahmed Dahmani, Aïssa Kadri au colloque de l’université de Paris VIII

«Entre autoritarismes et révoltes populaires : quelles alternatives pour le Maghreb ?»

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http://www.elwatan.com/dossier/entre-autoritarismes-et-revoltes-populaires-quelles-alternatives-pour-le-maghreb-01-02-2011-109721_151.php


Universitaires, associatifs, étudiants, jeunes et vieux, femmes et hommes de la Seine Saint-Denis et de la région parisienne, sensibilisés par ce qui se passe en Tunisie, en Algérie, en Egypte, au Maroc, se sont retrouvés pour écouter et débattre avec un panel d’enseignants chercheurs spécialistes reconnus sur le Maghreb et le monde arabe, comme Mohamed Harbi, René Gallissot, Nicolas Beau, Khadija Finan, Ahmed Dahmani, Aïssa Kadri et d’autres dans la salle. L’université de Paris 8 renouait à l’occasion avec son histoire vincennoise faite d’engagement solidaire avec les luttes sociales des Sud.C ’est dans l’amphithéâtre principal de l’université de Paris 8 quasi-plein qu’a eu lieu vendredi dernier la conférence débat intitulée «Entre autoritarismes et révoltes populaires : quelles alternatives pour le Maghreb ?».

Aïssa Kadri, au nom de l’Institut Maghreb Europe, ouvre la conférence en revendiquant la rencontre d’abord comme action de solidarité avec les mouvements populaires au Maghreb et plus largement dans le monde arabe. Il a rendu hommage à Bouazizi et à tous les jeunes Tunisiens, Algériens, Egyptiens, Yéménites, Marocains, Jordaniens qui sont morts pour la dignité et la liberté. Il inscrit cette action de solidarité dans la continuité de l’histoire de Paris 8.
Il rappelle que l’université avait déjà en son temps soutenu Sadri Khiari emprisonné par Ben Ali en demandant une soutenance en absence, que Hamma Hamami a été inscrit en thèse à l’IME au moment où il était recherché, que Radia Nasraoui, l’avocate courage, a été soutenue par les collègues de l’IME, que de nombreux intellectuels et militants des droits de l’homme, dont Khadija Cherif, Radia Nasraoui et Moncef Marzouki ont été accueillis à l’université.

Il rappelle que L’Institut avait également organisé en son temps un colloque sur les émeutes et mouvements sociaux au Maghreb à l’occasion et en solidarité avec les victimes, des dix ans des émeutes d’Octobre 1988 en Algérie. De nombreux colloques sur les droits de l’homme au Maghreb, sur la liberté de la presse associant intellectuels, militants, associatifs, ont été organisés par l’IME. C’est donc dans la continuité des actions de solidarité et en associant les jeunes générations, représentées par le syndicat des étudiants algériens en France, que la rencontre prend son sens, mais elle doit être également, selon le directeur de l’Institut Maghreb Europe, un moment de réflexion et de clarification du sens de ces actions collectives dans des systèmes autoritaires fermés, prébendiers et qui tentaient pour certains de se reproduire «dans des transitions dynastiques».

A ce titre, le rôle des diasporas, et particulièrement les diasporas intellectuelles des pays du Sud, apparaît important à l’heure des satellites, de facebook, de twitter de l’internet et des nouvelles formes d’engagements intellectuels d’autant plus autonomes que leurs actions sont déterritorialisées. Le contexte géopolitique a aujourd’hui également sensiblement évolué – on l’a vu avec les interventions réitérées d’Obama sur facebook ou à la télé, mettant en garde les autorités égyptiennes.
Les facteurs et les causes qui prédisposent au déclenchement de ces mouvements semblent être bien partagés par les pays de la région, peut-on pour autant généraliser l’analyse ? Quel poids ont les caractéristiques sociohistoriques propres à chaque pays ? Quels sont les invariants ?


La permanence de l’autoritarisme : un essentialisme arabe ?


Il y a pour Aïssa Kadri paradoxalement à expliquer d’abord quels sont les causes et les facteurs qui ont favorisé la longévité des systèmes autoritaires. Y a-t-il des prérequis aux processus de démocratisation ? Ceux-ci font-ils défaut aux pays de l’aire culturelle, aux pays du monde arabe ? Le développement et la modernisation conditionnent-ils automatiquement et toujours la démocratie ? Y aurait-il des facteurs propres Etats au monde arabe plus que musulman, (exceptions turque, pakistanaise) facteurs historiques, sociologiques, facteurs tenant la nature sociopolitique des Etats, de la place des élites et des bourgeoisies agrafées aux Etats, facteurs donc qui prédéterminent ces pays à ne vivre et connaître que les situations autoritaires ? Il y a donc, selon lui, inversement à expliquer le pourquoi de l’instant, les causes et les raisons profondes du déclenchement de ces mouvements, du pourquoi maintenant ces formes et ces modalités ; pourquoi la Tunisie a donné le la. Est-ce que la Tunisie est un modèle ou une exception. Pourquoi par exemple les émeutes et les contestations en Algérie récurrentes n’ont pas débouché sur un tel mouvement. Quelles sont donc les caractéristiques à la fois communes, les invariants et les spécificités de chaque société.

Les pays du Maghreb : une évolution parallèle et asynchrone allant dans le même sens. Moment et ampleur pour les autres pays ?

Les pays du Maghreb évoluant historiquement dans une espèce de parallélisme des formes, de manière asynchrone, il y a toujours l’un d’entre eux qui montre la voie, quel va être ce moment pour l’Algérie et le Maroc, la Libye et quelle en sera l’ampleur ? Peut-on parler d’accouchement d’un printemps démocratique arabe ? La situation socioéconomique avec les effets de la crise du capitalisme financier, la généralisation de la corruption des classes dirigeantes, l’approfondissement des inégalités, la délégitimation des dirigeants politiques corrompus, l’érosion du nationalisme, son instrumentalisation, la montée de nouvelles générations relativement plus éduquées, dont les certifications sont payées en monnaie de singe, l’absence ou l’instrumentalisation des médiations avec un secteur associatif pléthorique contrôlé ou infiltré et sclérosé (9500 associations en Tunisie, 82 000 en Algérie dont plus de la moitié est gelée, quelque 70 000 associations au Maroc), une mal-vie généralisée, une paupérisation galopante de pans entiers des sociétés, la marginalisation et la fuite de la jeunesse qui, à l’écoute du monde, veut donner du sens à sa vie, tout ceci témoigne tout à la fois de l’usure de pouvoirs gérontocratiques, dynastiques, coupés de leurs sociétés et de contestations sociopolitiques qui transmutent qualitativement.
Au-delà des simplifications abusives de certains analystes pressés, il s’agit ici de comprendre pour soutenir, de réfléchir aux enjeux du moment et sans faire de prophétisme de penser les alternatives, de ce qui peut advenir. C’est à toutes ces questions qu’il invite les intervenants à répondre


Les mouvements sociaux dans l’histoire : continuités et nouvelles formes. L’état sécuritaire


Il y a d’abord à comprendre ces mouvements dans l’histoire, il y a eu de nombreux mouvements, certains anciens, d’autres plus récents (mouvement berbère du printemps 80, contestations des années 1990 en Algérie, du printemps noir en Kabylie, révolte de Sid Ifni au Maroc, des étudiants de Marrakech, révolte de Gafsa en Tunisie).

Y a-t-il continuité et comment, ou y a-t-il ruptures, quelles en sont les formes ?

Quelles sont les composantes sociales de ces mouvements ?
L’intervention de René Gallissot a essentiellement porté sur une analyse des structures sociales particulières à chacun des pays du Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc) en insistant surtout sur les formes que prenaient les bourgeoisies dans chaque cas, mais aussi les formes et les modalités d’expression du monde du travail et du syndicalisme. René Gallissot relève au-delà des points communs de cette évolution de notables différences quant aux constitutions des bourgeoisies nationales, aux conditions du développement du secteur privé et au le développement des syndicats. Il revient sur les caractéristiques particulières du bourguibisme et la spécificité de l’UGTT, ce qui explique son rôle d’accompagnement par la base du mouvement populaire. En revenant largement sur leurs structurations durant toute la période nationaliste, il a notamment montré comment, à partir des années 1956/57, la fin de l’espérance maghrébine a permis l’installation durable d’un nationalisme d’Etat empêchant, du moins jusqu’à présent, toute perspective commune, y compris pour la question des soulèvements populaires. Mohamed Harbi, pour sa part, s’est appesanti sur le cas algérien avant de revenir sur l’idée maghrébine. Concernant l’Algérie, son analyse a d’abord porté sur l’Etat dont il a dit qu’il avait en même temps la position de pouvoir et la posture de l’opposition dans la mesure où cette dernière n’apparaissait que comme un faire-valoir. A côté d’un pouvoir capable de se «cloner», Harbi parle d’une intelligentsia qui, avec les classes moyennes, ne nourrit aucun projet d’autonomie et n’envisage pas d’autre perspective que celle de l’intégration à l’Etat.


Le cas algérien se caractérise aussi, pour lui, par l’existence d’une plèbe urbaine difficile à intégrer et qui force l’Etat à recourir à des politiques strictement sécuritaires. Facilement manipulable, cette plèbe vit d’une économie informelle tenue par des puissants capables de la jeter à n’importe quel moment dans la rue. L’orateur a enfin décrit la scène politique algérienne comme une scène fragmentée, où les acteurs, n’ayant pas de forces sociales derrière eux, croient pouvoir continuellement ruser avec le pouvoir. M. Harbi termine son propos par une longue insistance sur l’idée maghrébine dont il dit qu’elle a longtemps existée comme idée forte et mobilisatrice, qu’elle n’est pas totalement morte, et qu’il ne faut à aucun prix abandonner. L’idée du Maghreb a été utilisée pour masquer pour les pouvoirs en place la dimension des luttes sociales. Ce qui s’est construit c’est un Maghreb des polices. Les intervenants sont trois à avoir été interdits de séjour en Tunisie. On peut avancer, selon Mohamed Harbi, que les guerres civiles au Maghreb n’ont pas cessé depuis la dislocation de l’empire Almohade ; les obstacles à la mise en place d’un marché commun maghrébin et à la libre circulation des personnes et des biens est paradoxalement à chercher du côté des Etats et non des impérialismes.


Des premières interventions, il apparaît des convergences et des différences explicatives de la nature sociologique des mouvements actuels au Maghreb. En Tunisie, Ben Ali a en quelque sorte catalysé la contestation et les haines sur son nom aussi bien du bas que des «classes moyennes» ponctionnées et contenues ; en Algérie la division d’un pouvoir plus opaque et divisé au moins dans certaines conjonctures selon les intérêts des «clans», des «familles» et des «clients», l’absence des élites du fait de leur intéressement à l’Etat qui, seul classe ou déclasse, ne permettent pas une coalescence des contestations qui tournent toujours à l’émeute. Au Maroc, la légitimité de la monarchie, la relative circulation des élites, l’adaptation de la vieille bourgeoisie citadine à l’ouverture économique assumée, son élargissement, la verticalité de la corruption qui irrigue du palais au plus bas des pans entiers de la société, l’ouverture au monde associatif pour une large part lié à l’international et à la diaspora permet dans le contexte d’amortir le coup même si l’explosion n’est pas loin du fait de l’approfondissement des inégalités.


La centralité de la corruption : la gangrène et l’impunité


Dans le deuxième volet, les interventions ont donc cherché à identifier et analyser les causes et les raisons qui ont amené à ces explosions populaires : contexte de crise, caractéristiques des économies, caractéristiques sociologiques, corruption, nature des pouvoirs, nature sociopolitique des Etats. Caractéristiques des «sociétés civiles» associations et ONG.
Pour Nicolas Beau, professeur associé à l’IME, journaliste et auteur de La régente de Carthage et de Notre ami Ben Ali, la corruption est un mal endémique au Maghreb, comme dans de très nombreux autres pays, y compris en Europe. Elle a un effet au Maghreb dévastateur dans la mesure même où la justice est aux ordres et instrumentalisée. Selon lui incontestablement, on a assisté, ces dernières années, au Maroc, en Algérie et dans la Tunisie de Ben Ali à une dérèglementation totale des usages et des codes qui présidaient à la distribution de la manne financière au sein des pouvoirs en place. Cette corruption débridée revêt des formes et des visibilités différentes dans l’un et l’autre pays. Il y a une vieille tradition marocaine et les nouvelles formes s’y sont adaptées. La Tunisie est de ce point de vue emblématique d’une dérive mafieuse.


L’Algérie instrumentalise les affaires, alors même que tous les clans sont concernés, dans les rapports de force internes au pouvoir. Elle devient même un instrument de régulation entre les clans. En Tunisie, les dix dernières années ont été marquées par la montée en puissance du clan de la première dame du pays, Leila Trabelsi, qui a mis la main sur la plupart des secteurs d’import-export ainsi que sur le système bancaire. Au Maroc, l’entourage royal, dominé par la personnalité de Mejidi, grand argentier du roi, a montré une boulimie financière inconnue jusqu’à présent. La corruption, sport national, qui n’épargnait que peu de secteurs de la société, a pris désormais des proportions inquiétantes au sommet de l’Etat marocain. En Algérie enfin, la rente pétrolière, qui avait contribué sous Boumediène à développer le pays, est aujourd’hui accaparée par les élites politiques et militaires. La concurrence est sévère désormais entre le clan présidentiel et les services. Contrairement aux deux pays voisins, une presse instrumentalisée par des clans différents rend largement compte de ces phénomènes d’accaparement illicite des richesses nationales, comme le montre l’affaire récente de Sonatrach. Cependant, ces affaires sont sorties pour des buts de règlement de comptes entre clans et clients.


Ahmed Dahmani, enseignant chercheur à Orsay, chargé de cours à l’IME, analysant l’économie rentière, va dans le même sens. Revenant sur le cas algérien, il relève que les émeutes, qui se sont multipliées dans toute l’Algérie, parfois de simples bourgades, illustrent concrètement la dégradation de la situation économique et sociale suite à la rupture du compromis social échafaudé depuis l’indépendance. Grâce aux revenus de la rente : 46% du PIB, 78% de la fiscalité et 98% des recettes d’exportations plus que le Venezuela, 85% et l’Arabie Saoudite, 88%, le pouvoir d’Etat a pu maintenir la paix sociale. Pendant près de deux décennies, une sorte de «contrat social» tacite a été «négocié» et conclu entre l’Etat et la société (emploi même en sureffectifs, soutien des prix, médecine gratuite, etc.). La rupture de ce compromis survient lors du contre-choc pétrolier de 1985 qui réduit les recettes de l’Etat et révèle l’extrême vulnérabilité d’une économie rentière. Et surtout, la dégradation des conditions de vie de la majorité de la population contraste avec l’affairisme, la spéculation, le parasitisme économique et social, l’étalage sans retenue par les nouveaux nantis de leurs richesses souvent mal acquises. Les années noires de l’Algérie vont renforcer ces tendances. A la faveur du terrorisme, de l’insécurité, de l’absence de toute règle, se développent des fortunes colossales sans commune mesure avec les décennies précédentes.


Les années 2000, coïncidant avec la présidence de Bouteflika, se caractérisent par une nette amélioration de la situation économique en relation directe avec un renchérissement des prix du pétrole. Jamais dans l’histoire de l’Algérie indépendante, le pays n’a disposé d’autant de ressources financières (400 milliards $ en 10 ans), grâce auxquelles l’Etat a pu apurer sa dette extérieure, lancer de grands chantiers d’infrastructures tout en disposant de réserves de change estimées par le FMI à 170 milliards de dollars en 2010, et dont les Algériens ne connaissent pas la destination ou l’usage. Paradoxalement, les inégalités sociales s’aggravent, les catégories populaires et même les couches moyennes se paupérisent, les couches favorisées, elles, étalent sans honte voire avec cynisme les fortunes amassées grâce à leur proximité avec les centres de décision économique et politique.

La corruption, autrefois contenue ou limitée, prend des proportions colossales aujourd’hui. Les affaires des marchés de l’autoroute (2009) et Sonatrach (2010) et auparavant l’affaire Khalifa ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Une grosse partie de la rente est détournée directement ou indirectement pour être soit exportée vers l’Europe ou les Etats-Unis, soit dépensée dans des achats somptuaires qui choquent et frustrent notamment les jeunes issus des couches populaires soumis au chômage et à la mal-vie, contraints à l’émeute ou à la harga.
Khadija Finan chargée de cours à l’IME abonde également dans le sens du poids de plus en plus grand de la corruption dans ces pays en distinguant toutefois les pays selon les caractéristiques de leur économie. Elle note ainsi que le poids du chômage des jeunes notamment des jeunes diplômés est plus élevé en Tunisie (30%) qu’au Maroc (18%) et en Algérie (24%). Le secteur de l’informel dont le poids reste difficilement mesurable (40% en Algérie et 28% au Maroc) absorbant dans ces deux pays plus de jeunes en rupture d’école ou diplômés. Ce secteur est plus contrôlé en Tunisie. C’est à travers le contrôle drastique de ce secteur que les contradictions se sont aiguisées et que l’étincelle est née.


Elle revient sur la catégorie des diplômés chômeurs, centrale, elle aussi dans la composition sociologique des mouvements sociaux, en relevant que les politiques de scolarisation massive sont en train de montrer leur impasse devant la faiblesse de la création d’emplois en Tunisie, notamment depuis l’effet des accords d’association. La réalité du taux de croissance tunisien de 5% a été, semble-t-il, surévalué par le patronat. De ce point de vue, les mouvements de diplômés chômeurs sont plus anciens au Maroc qu’en Tunisie où ils émergent et ont pu être intégrés dans le jeu politique national et local à travers leurs directions. Kahdija Finan relève que la dérive mafieuse a détruit l’Etat et rompu le «lien social». En Algérie, l’Etat achète la paix des jeunes par une généralisation des bourses et des modes d’accès gratuits à certains services, logement et restauration, et l’université est devenue un champ morne où les jeunes sont complètement dépolitisés. Ce qui laisse la voie aux jeunes déscolarisés qui n’ont rien à perdre. Selon elle, il y a en Tunisie un processus d’émancipation du nationalisme d’Etat.


La place de l’armée n’est pas aussi identique dans les trois pays.
Elle n’a pas d’image en Tunisie sauf ces derniers jours, elle a été dépolitisée par Bourguiba, contrairement aux autres pays où en Algérie elle reste dans le jeu politique, notamment à travers le DRS et une partie de la vieille génération et au Maroc où elle a été contrôlée par le Palais même si elle a son mot à dire à travers son implication au Sahara. Khadija Finan révèle qu’Hillary Clinton aurait reçu les deux chefs de l’armée tunisienne pour les dissuader de réprimer. En Egypte, comme en Algérie, l’armée est du côté du pouvoir.
Et les USA ne regardent pas ces révoltes avec les mêmes yeux ici ou là, car ils attendent autre chose de l’Egypte, notamment un rôle à jouer dans le processus de paix au Moyen-Orient et la déstabilisation de cette région au plan politique est catastrophique pour Israël. En Algérie, la population craint par-dessus tout une nouvelle plongée dans la violence extrême. Quant au Maroc, si la légitimité n’est pas la même, rien n’exclut une flambée de violence contre le système, contre le gouvernement, la cherté de la vie... tout en préservant le monarque. «J’y étais la semaine dernière et il est intéressant
de voir que les élites disent que le cas tunisien ne peut se produire chez eux, alors que les chauffeurs de taxi me disaient ‘c’est ce qui arrive aux princes qui mentent à leurs peuples’, en me regardant longuement dans le rétroviseur.»
Le net et les moyens modernes de communication ont joué un grand rôle dans le mouvement tunisien, selon elle. L’appropriation et l’usage de ces moyens à des fins politiques n’est pas nouveau en Tunisie.


Entre états et Sociétés, une fracture béante


Aïssa Kadri met, quant à lui, l’accent sur l’absence d’intermédiation entre Etats et sociétés au Maghreb. C’est dans le moment post-90 où ces Etats et sociétés entrent en crise sous le double effet des contextes économique et politique nouveaux, subséquents à la chute de l’empire soviétique et aux nouvelles formes de l’internationalisation du capital, que se redéfinissent sous contraintes les rapports internes entre Etats et «sociétés civiles», entre pouvoirs et institutions.
C’est d’abord moins dans une logique de démocratisation, pensée comme nécessaire et inéluctable, dans le contexte contraint de plans d’ajustements structurels imposés par les institutions financières internationales que les changements de politiques publiques à l’égard du secteur privé, du mouvement associatif et de la société en général trouvent leur éclairage.


Au début des années 1990, la remise à l’ordre du jour des activités associatives, l’encouragement de certaines activités, procèdent de volonté d’Etats en crise et de pouvoirs politiques de plus en plus contestés, de desserrer l’étau des demandes sociales de plus en plus pressantes, dans une phase de réduction drastique des ressources financières. A partir des années 1980 et début 1990 vont se mettre en place à l’initiative d’élites de classe moyenne, et sans doute avec l’accord tacite des pouvoirs en place et la pression des institutions internationales, des associations de défense des droits de l’homme principalement en Algérie et au Maroc.
Le Maroc connaît dans le même moment le développement d’associations régionales portées par des personnalités proches du palais.
Le développement associatif qui court des années 1980 à la fin des années 1990 n’apparaît pas seulement comme le fait d’Etats contraints d’ouvrir relativement le champ de la participation – notamment pour les classes moyennes en voie de prolétarisation – pour ne pas céder l’essentiel, il procède également à la montée de demandes de plus en plus exigeantes qui traduisent des revendications «identitaires» et culturelles et qui peuvent être assimilées pour certaines à des demandes de démocratisation. La question associative est ainsi de fait liée à celle de la problématique de la démocratisation de l’Etat et de la société.
C’est après cette phase, et concomitamment avec le développement de l’associationnisme «islamiste», mais également avec son reflux, au moins sous sa forme offensive explicite, le développement d’associations identitaires «berbéristes» qui occupe le devant de la scène.


Ce moment «identitaire» apparaît dans l’histoire du développement associatif au Maghreb comme un moment de transition, où les catégories des élites jusque-là en opposition – notamment celles issues de la gauche marxisante – mais faisant le deuil d’une transformation «révolutionnaire» trouvent des espaces, certes encore largement contrôlés, où ils peuvent «construire» et «affermir» des projets alternatifs ; et où également les Etats conscients des coûts aussi bien internes qu’externes – mais plus au Maroc qu’en Tunisie ou en Algérie – de logiques de répressions continues, permettent le développement d’actions publiques non concurrentielles voire qu’ils acceptent celles-ci comme complémentaires. Le Maroc est exemplaire de cette volonté de cooptation des hommes d’affaires et d’association des entreprises à l’œuvre dans le processus de réformes et de modernisation. Cependant, cette voie reste marginale dans la circulation des élites au Maghreb. Si elle est relativement pratiquée au Maroc où un certain nombre de personnalités associatives, notamment celles de deuxième génération, ont été intégrées à l’Etat, elle apparaît quelque peu bloquée dans le cas algérien (le personnel de l’Etat est largement issu de la première génération de la lutte de Libération nationale) et tunisien, où les catégories de l’élite issues de la société civile sont peu représentées au niveau de l’Etat. Les cooptations, quand elles ont lieu, fonctionnent sur une délégitimation politique intériorisée par les concernés eux-mêmes.


Au bout de la double décennie selon M. Kadri, l’associationnisme apparaît comme il est perçu par les classes populaires, une autre forme de mystification dans le processus d’exclusion et de domination engagée depuis les indépendances. L’analyse du développement du mouvement associatif montre en effet que la mise en place des associations, la relative ouverture du champ associatif dans les années 1990, le partage de la gestion de secteurs que l’Etat redistributif en crise ne pouvait à lui seul prendre en compte n’a pas été pensée et inscrite dans les objectifs des Etats en place comme processus d’émergence de «sociétés civiles» responsables et actives dans la gestion économique et sociale et en conséquence politique, encore moins comme processus de démocratisation même intégré dans la dimension du temps long. Au moment des «transitions dynastiques», le développement associatif fonctionne comme desserrement de l’étau des demandes sociales, comme nouvelle division du travail et des places au sein d’un système en mal d’hégémonie.

M. R

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