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Lieu : Avignon, Vaucluse, France

lundi 27 septembre 2010

Manifeste des économistes atterrés

http://economistes-atterres.blogspot.com/2010/09/manifeste-des-economistes-atterres.html


Mercredi 1er septembre 2010

CRISE ET DETTE EN EUROPE : 10 FAUSSES EVIDENCES, 22 MESURES EN DEBAT POUR SORTIR DE L’IMPASSE

Introduction

La reprise économique mondiale, permise par une injection colossale de dépenses publiques dans le circuit économique (des États-Unis à la Chine), est fragile mais réelle. Un seul continent reste en retrait, l’Europe. Retrouver le chemin de la croissance n’est plus sa priorité politique. Elle s’est engagée dans une autre voie : celle de la lutte contre les déficits publics.

Dans l’Union Européenne, ces déficits sont certes élevés – 7% en moyenne en 2010 – mais bien moins que les 11% affichés par les États-Unis . Alors que des États nord-américains au poids économique plus important que la Grèce, la Californie par exemple, sont en quasi-faillite, les marchés financiers ont décidé de spéculer sur les dettes souveraines de pays européens, tout particulièrement ceux du Sud. L’Europe est de fait prise dans son propre piège institutionnel : les États doivent emprunter auprès d’institutions financières privées qui obtiennent, elles, des liquidités à bas prix de la Banque Centrale Européenne. Les marchés ont donc la clé du financement des États. Dans ce cadre, l’absence de solidarité européenne suscite la spéculation, d’autant que les agences de notation jouent à accentuer la défiance.

Il a fallu la dégradation, le 15 juin, de la note de la Grèce par l’agence Moody’s, pour que les dirigeants européens retrouvent le terme d’ « irrationalité » qu’ils avaient tant employé au début de la crise des subprimes. De même, on découvre maintenant que l’Espagne est bien plus menacée par la fragilité de son modèle de croissance et de son système bancaire que par son endettement public.

Pour « rassurer les marchés », un Fonds de stabilisation de l’euro a été improvisé, et des plans drastiques et bien souvent aveugles de réduction des dépenses publiques ont été lancés à travers l’Europe. Les fonctionnaires sont les premiers touchés, y compris en France, où la hausse des cotisations retraites sera une baisse déguisée de leur salaire. Le nombre de fonctionnaires diminue partout, menaçant les services publics. Les prestations sociales, des Pays-Bas au Portugal en passant par la France avec l’actuelle réforme des retraites, sont en voie d’être gravement amputées. Le chômage et la précarité de l’emploi se développeront nécessairement dans
s années à venir. Ces mesures sont irresponsables d’un point de vue politique et social, et même au strict plan économique.

Cette politique, qui a très provisoirement calmé la spéculation, a déjà des conséquences sociales très négatives dans de nombreux pays européens, tout particulièrement sur la jeunesse, le monde du travail et les plus fragiles. A terme elle attisera les tensions en Europe et menacera de ce fait la construction européenne elle-même, qui est bien plus qu’un projet économique. L’économie y est censée être au service de la construction d’un continent démocratique, pacifié et uni. Au lieu de cela, une forme de dictature des marchés s’impose partout, et particulièrement aujourd’hui au Portugal, en Espagne et en Grèce, trois pays qui étaient encore des dictatures au début des années 1970, il y a à peine quarante ans.

Qu’on l’interprète comme le désir de « rassurer les marchés » de la part de gouvernants effrayés, ou bien comme un prétexte pour imposer des choix dictés par l’idéologie, la soumission à cette dictature n’est pas acceptable, tant elle a fait la preuve de son inefficacité économique et de son potentiel destructif au plan politique et social. Un véritable débat démocratique sur les choix de politique économique doit donc être ouvert en France et en Europe. La plupart des économistes qui interviennent dans le débat public le font pour justifier ou rationaliser la soumission des politiques aux exigences des marchés financiers.

Certes, les pouvoirs publics ont dû partout improviser des plans de relance keynésiens et même parfois nationaliser temporairement des banques. Mais ils veulent refermer au plus vite cette parenthèse. Le logiciel néolibéral est toujours le seul reconnu comme légitime, malgré ses échecs patents. Fondé sur l’hypothèse d’efficience des marchés financiers, il prône de réduire les dépenses publiques, de privatiser les services publics, de flexibiliser le marché du travail, de libéraliser le commerce, les services financiers et les marchés de capitaux, d’accroître la concurrence en tous temps et en tous lieux...

En tant qu’économistes, nous sommes atterrés de voir que ces politiques sont toujours à l’ordre du jour et que leurs fondements théoriques ne sont pas remis en cause. Les arguments avancés depuis trente ans pour orienter les choix des politiques économiques européennes sont pourtant mis en défaut par les faits. La crise a mis à nu le caractère dogmatique et infondé de la plupart des prétendues évidences répétées à satiété par les décideurs et leurs conseillers. Qu’il s’agisse de l’efficience et de la rationalité des marchés financiers, de la nécessité de couper dans les dépenses pour réduire la dette publique, ou de renforcer le « pacte de stabilité », il faut interroger ces fausses évidences et montrer la pluralité des choix possibles en matière de politique économique. D’autres choix sont possibles et souhaitables, à condition d’abord de desserrer l’étau imposé par l’industrie financière aux politiques publiques.

Nous faisons ci-dessous une présentation critique de dix postulats qui continuent à inspirer chaque jour les décisions des pouvoirs publics partout en Europe, malgré les cinglants démentis apportés par la crise financière et ses suites. Il s’ leagit de fausses évidences qui inspirent des mesures injustes et inefficaces, face auxquelles nous mettons en débat vingt-deux contre-propositions. Chacune d’entre elles ne fait pas nécessairement l’unanimité entre les signataires de ce texte, mais elles devront être prises au sérieux si l’on veut sortir l’Europe de l’impasse.

FAUSSE EVIDENCE N°1 : LES MARCHES FINANCIERS SONT EFFICIENTS

Aujourd’hui, un fait s’impose à tous les observateurs : le rôle primordial que jouent les marchés financiers dans le fonctionnement de l’économie. C’est là le résultat d’une longue évolution qui a débuté à la fin des années soixante-dix. De quelque manière qu’on la mesure, cette évolution marque une nette rupture, aussi bien quantitative que qualitative, par rapport aux décennies précédentes. Sous la pression des marchés financiers, la régulation d’ensemble du capitalisme s’est transformée en profondeur, donnant naissance à une forme inédite de capitalisme que certains ont nommée « capitalisme patrimonial », « capitalisme financier » ou encore « capitalisme néolibéral ».

Ces mutations ont trouvé dans l’hypothèse d’efficience informationnelle des marchés financiers leur justification théorique. En effet, selon cette hypothèse, il importe de développer les marchés financiers, de faire en sorte qu’ils puissent fonctionner le plus librement possible, parce qu’ils constituent le seul mécanisme d’allocation efficace du capital. Les politiques menées avec opiniâtreté depuis trente ans sont conformes à cette recommandation. Il s’est agi de construire un marché financier mondialement intégré sur lequel tous les acteurs (entreprises, ménages, États, institutions financières) peuvent échanger toutes les catégories de titres (actions, obligations, dettes, dérivés, devises) pour toutes les maturités (long terme, moyen terme, court terme). Les marchés financiers en sont venus à ressembler au marché « sans friction » des manuels : le discours économique est parvenu à créer la réalité. Les marchés étant de plus en plus « parfaits » au sens de la théorie économique dominante, les analystes ont cru que le système financier était désormais bien plus stable que par le passé. La « grande modération » - cette période de croissance économique sans hausse des salaires qu’ont connus les USA de 1990 à 2007 - a semblé le confirmer.

Aujourd’hui encore le G20 persiste dans l’idée que les marchés financiers sont le bon mécanisme d’allocation du capital. La primauté et l’intégrité des marchés financiers demeurent les objectifs finaux que poursuit sa nouvelle régulation financière. La crise est interprétée non pas comme un résultat inévitable de la logique des marchés dérégulés, mais comme l’effet de la malhonnêteté et de l’irresponsabilité de certains acteurs financiers mal encadrés par les pouvoirs publics.

Pourtant, la crise s’est chargée de démontrer que les marchés ne sont pas efficients, et qu’ils ne permettent pas une allocation efficace du capital. Les conséquences de ce fait en matière de régulation et de politique économique sont immenses. La théorie de l’efficience repose sur l’idée que les investisseurs recherchent et trouvent l’information la plus fiable possible sur la valeur des projets qui sont en concurrence pour trouver un financement. A en croire cette théorie, le prix qui se forme sur un marché reflète les jugements des investisseurs et synthétise l’ensemble de l’information disponible : il constitue donc une bonne estimation de la vraie valeur des titres. Or, cette valeur est supposée résumer toute l’information nécessaire pour orienter l’activité économique et ainsi la vie sociale. Ainsi, le capital s’investit dans les projets les plus rentables et délaisse les projets les moins efficaces. Telle est l’idée centrale de cette théorie : la concurrence financière produit des prix justes qui constituent des signaux fiables pour les investisseurs et orientent efficacement le développement économique.

Mais la crise est venue confirmer les différents travaux critiques qui avaient mis en doute cette proposition. La concurrence financière ne produit pas nécessairement des prix justes. Pire : la concurrence financière est souvent déstabilisante et conduit à des évolutions de prix excessives et irrationnelles, les bulles financières.

L’erreur majeure de la théorie de l’efficience des marchés financiers consiste à transposer aux produits financiers la théorie habituelle des marchés de biens ordinaires. Sur ces derniers, la concurrence est pour partie autorégulatrice en vertu de ce qu’on nomme la « loi » de l’offre et de la demande : lorsque le prix d’un bien augmente, alors les producteurs vont augmenter leur offre et les acheteurs réduire leur demande ; le prix va donc baisser et revenir près de son niveau d’équilibre. Autrement dit, quand le prix d’un bien augmente, des forces de rappel tendent à freiner puis inverser cette hausse. La concurrence produit ce qu’on appelle des « feedbacks négatifs », des forces de rappel qui vont dans le sens contraire du choc initial. L’idée d’efficience naît d’une transposition directe de ce mécanisme à la finance de marché.

Or, pour cette dernière, la situation est très différente. Quand le prix augmente, il est fréquent d’observer, non pas une baisse mais une hausse de la demande ! En effet la hausse du prix signifie un rendement accru pour ceux qui possèdent le titre, du fait de la plus-value réalisée. La hausse du prix attire donc de nouveaux acheteurs, ce qui renforce encore la hausse initiale. Les promesses de bonus poussent les traders à amplifier encore le mouvement. Jusqu’à l’incident, imprévisible mais inévitable, qui provoque l’inversion des anticipations et le krach. Ce phénomène digne des moutons de Panurge est un processus à « feedbacks positifs », qui aggrave les déséquilibres. C’est la bulle spéculative : une hausse cumulative des prix qui se nourrit elle-même. Ce type de processus ne produit pas des prix justes, mais au contraire des prix inadéquats.

La place prépondérante occupée par les marchés financiers ne peut donc conduire à une quelconque efficacité. Plus même, elle est une source permanente d’instabilité, comme le montre clairement la série ininterrompue de bulles que nous avons connue depuis 20 ans : Japon, Asie du Sud-Est, Internet, Marchés émergents, Immobilier, Titrisation. L’instabilité financière se traduit ainsi par de fortes fluctuations des taux de change et de la Bourse, manifestement sans rapport avec les fondamentaux de l’économie. Cette instabilité, née du secteur financier, se propage à l’économie réelle par de nombreux mécanismes.

Pour réduire l’inefficience et l’instabilité des marchés financiers, nous suggérons quatre mesures :

Mesure n°1 : cloisonner strictement les marchés financiers et les activités des acteurs financiers, interdire aux banques de spéculer pour leur compte propre, pour éviter la propagation des bulles et des krachs

Mesure n°2 : Réduire la liquidité et la spéculation déstabilisatrice par des contrôles sur les mouvements de capitaux et des taxes sur les transactions financières

Mesure n°3 : limiter les transactions financières à celles répondant aux besoins de l’économie réelle (ex. : CDS uniquement pour les détenteurs des titres assurés, etc.)

Mesure n°4 : plafonner la rémunération des traders

FAUSSE EVIDENCE N°2 : LES MARCHES FINANCIERS SONT FAVORABLES A LA CROISSANCE ECONOMIQUE

L’intégration financière a porté le pouvoir de la finance à son zénith par le fait qu’elle unifie et centralise la propriété capitaliste à l’échelle mondiale. Désormais c’est elle qui détermine les normes de rentabilité exigées de l’ensemble des capitaux. Le projet était que la finance de marché se substitue au financement bancaire des investissements. Projet qui a d’ailleurs échoué, puisqu’aujourd’hui, globalement, ce sont les entreprises qui financent les actionnaires au lieu du contraire. La gouvernance des entreprises s’est néanmoins profondément transformée pour atteindre les normes de rentabilité du marché. Avec la montée en puissance de la valeur actionnariale, s’est imposée une conception nouvelle de l’entreprise et de sa gestion, pensées comme étant au service exclusif de l’actionnaire. L’idée d’un intérêt commun propre aux différentes parties prenantes liées à l’entreprise a disparu. Les dirigeants des entreprises cotées en Bourse ont désormais pour mission première de satisfaire le désir d’enrichissement des actionnaires et lui seul. En conséquence, ils cessent eux-mêmes d’être des salariés, comme le montre l’envolée démesurée de leurs rémunérations. Comme l’avance la théorie de « l’agence », il s’agit de faire en sorte que les intérêts des dirigeants soient désormais convergents avec ceux des actionnaires.

Le ROE (Return on Equity, ou rendement des capitaux propres) de 15% à 25% est désormais la norme qu’impose le pouvoir de la finance aux entreprises et aux salariés. La liquidité est l’instrument de ce pouvoir, permettant à tout moment aux capitaux non satisfaits d’aller voir ailleurs. Face à cette puissance, le salariat comme la souveraineté politique apparaissent de par leur fractionnement en état d’infériorité. Cette situation déséquilibrée conduit à des exigences de profit déraisonnables, car elles brident la croissance économique et conduisent à une augmentation continue des inégalités de revenu. D’une part les exigences de profitabilité inhibent fortement l’investissement : plus la rentabilité demandée est élevée, plus il est difficile de trouver des projets suffisamment performants pour la satisfaire. Les taux d’investissement restent historiquement faibles en Europe et aux États-Unis. D’autre part, ces exigences provoquent une constante pression à la baisse sur les salaires et le pouvoir d’achat, ce qui n’est pas favorable à la demande. Le freinage simultané de l’investissement et de la consommation conduit à une croissance faible et à un chômage endémique. Cette tendance a été contrecarrée dans les pays anglo-saxons par le développement de l’endettement des ménages et par les bulles financières qui créent une richesse fictive, permettent une croissance de la consommation sans salaires, mais se terminent par des krachs.

Pour remédier aux effets négatifs des marchés financiers sur l’activité économique nous mettons en débat trois mesures :

Mesure n°5 : renforcer significativement les contre-pouvoirs dans les entreprises pour obliger les directions à prendre en compte les intérêts de l’ensemble des parties prenantes

Mesure n°6 : accroître fortement l’imposition des très hauts revenus pour décourager la course aux rendements insoutenables

Mesure n°7 : réduire la dépendance des entreprises vis-à-vis des marchés financiers, en développant une politique publique du crédit (taux préférentiels pour les activités prioritaires au plan social et environnemental)

FAUSSE EVIDENCE N° 3 : LES MARCHES SONT DE BONS JUGES DE LA SOLVABILITE DES ETATS

Selon les tenants de l’efficience des marchés financiers, les opérateurs de marché prendraient en compte la situation objective des finances publiques pour évaluer le risque de souscrire à un emprunt d’État. Prenons le cas de la dette grecque : les opérateurs financiers et les décideurs s’en remettent aux seules évaluations financières pour juger la situation. Ainsi, lorsque le taux exigé de la Grèce est monté à plus de 10%, chacun en a déduit que le risque de défaut était proche : si les investisseurs exigent une telle prime de risque, c’est que le danger est extrême.

C’est là une profonde erreur si l’on comprend la vraie nature de l’évaluation par le marché financier. Celui-ci n’étant pas efficient, il produit très souvent des prix totalement déconnectés des fondamentaux. Dans ces conditions, il est déraisonnable de s’en remettre aux seules évaluations financières pour juger d’une situation. Évaluer la valeur d’un titre financier n’est pas une opération comparable à la mesure d’une grandeur objective, par exemple à l’estimation du poids d’un objet. Un titre financier est un droit sur des revenus futurs : pour l’évaluer il faut prévoir ce que sera ce futur. C’est affaire de jugement, pas de mesure objective, parce qu’à l’instant t, l’avenir n’est aucunement prédéterminé. Dans les salles de marché, il n’est que ce que les opérateurs imaginent qu’il sera. Un prix financier résulte d’un jugement, une croyance, un pari sur l’avenir : rien n’assure que le jugement des marchés ait une quelconque supériorité sur les autres formes de jugement.

Surtout l’évaluation financière n’est pas neutre : elle affecte l’objet mesuré, elle engage et construit le futur qu’elle imagine. Ainsi les agences de notation financières contribuent largement à déterminer les taux d’intérêt sur les marchés obligataires en attribuant des notes empruntes d’une grande subjectivité voire d’une volonté d’alimenter l’instabilité, source de profits spéculatifs. Lorsqu’elles dégradent la notation d’un État, elles accroissent le taux d’intérêt exigé par les acteurs financiers pour acquérir les titres de la dette publique de cet État, et augmentent par là-même le risque de faillite qu’elles ont annoncé.

Pour réduire l’emprise de la psychologie des marchés sur le financement des États nous mettons en débat deux mesures :

Mesure n°8 : les agences de notation financière ne doivent pas être autorisées à peser arbitrairement sur les taux d’intérêt des marchés obligataires en dégradant la note d’un État : on devrait réglementer leur activité en exigeant que cette note résulte d’un calcul économique transparent.

Mesure n°8bis : affranchir les États de la menace des marchés financiers en garantissant le rachat des titres publiques par la BCE.

FAUSSE EVIDENCE N° 4 : L’ENVOLEE DES DETTES PUBLIQUES RESULTE D’UN EXCES DE DEPENSES

Michel Pébereau, l’un des « parrains » de la banque française, décrivait en 2005 dans l’un de ces rapports officiels ad hoc, une France étouffée par la dette publique et sacrifiant ses générations futures en s’adonnant à des dépenses sociales inconsidérées. L’État s’endettant comme un père de famille alcoolique qui boit au dessus de ses moyens : telle est la vision ordinairement propagée par la plupart des éditorialistes. L’explosion récente de la dette publique en Europe et dans le monde est pourtant due à tout autre chose : aux plans de sauvetage de la finance et surtout à la récession provoquée par la crise bancaire et financière qui a commencé en 2008 : le déficit public moyen dans la zone euro n’était que de 0,6% du PIB en 2007, mais la crise l’a fait passer à 7% en 2010. La dette publique est passée en même temps de 66% à 84% du PIB.

Cependant la montée de la dette publique, en France et dans de nombreux pays européens a d’abord été modérée et antérieure à cette récession : elle provient largement non pas d’une tendance à la hausse des dépenses publiques – puisqu’au contraire celles-ci, en proportion du PIB, sont stables ou en baisse dans l’Union européenne depuis le début des années 1990 – mais de l’effritement des recettes publiques, du fait de la faiblesse de la croissance économique sur la période, et de la contre-révolution fiscale menée par la plupart des gouvernements depuis vingt-cinq ans. Sur plus long terme la contre-révolution fiscale a continûment alimenté le gonflement de la dette d’une récession à l’autre. Ainsi en France, un récent rapport parlementaire chiffre à 100 milliards d’euros en 2010 le coût des baisses d’impôts consenties entre 2000 et 2010, sans même inclure les exonérations de cotisations sociales (30 milliards) et d’autres « dépenses fiscales ». Faute d’harmonisation fiscale, les États européens se sont livrées à la concurrence fiscale, baissant les impôts sur les sociétés, les hauts revenus et les patrimoines. Même si le poids relatif de ses déterminants varie d’un pays à l’autre, la hausse quasi-générale des déficits publics et des ratios de dette publique en Europe au cours des trente dernières années ne résulte pas principalement d’une dérive coupable des dépenses publiques. Un diagnostic qui ouvre évidemment d’autres pistes que la sempiternelle réduction des dépenses publiques.

Pour restaurer un débat public informé sur l’origine de la dette et donc les moyens d’y remédier nous mettons en débat une proposition :

Mesure n° 9 : Réaliser un audit public et citoyen des dettes publiques, pour déterminer leur origine et connaître l’identité des principaux détenteurs de titres de la dette et les montants détenus.

FAUSSE EVIDENCE N°5 : IL FAUT REDUIRE LES DEPENSES POUR REDUIRE LA DETTE PUBLIQUE

Même si l’augmentation de la dette publique résultait en partie d’une hausse des dépenses publiques, couper dans ces dépenses ne contribuerait pas forcément à la solution. Car la dynamique de la dette publique n’a pas grand chose à voir avec celle d’un ménage : la macroéconomie n’est pas réductible à l’économie domestique. La dynamique de la dette dépend en toute généralité de plusieurs facteurs : le niveau des déficits primaires, mais aussi l’écart entre le taux d’intérêt et le taux de croissance nominal de l’économie.

Car si ce dernier est plus faible que le taux d’intérêt, la dette va s’accroître mécaniquement du fait de « l’effet boule de neige » : le montant des intérêts explose, et le déficit total (y compris les intérêts de la dette) aussi. Ainsi, au début des années 1990, la politique du franc fort menée par Bérégovoy et maintenue malgré la récession de 1993-94 s’est traduite par un taux d’intérêt durablement plus élevé que le taux de croissance, expliquant le bond de la dette publique de la France pendant cette période. C’est le même mécanisme qui expliquait l’augmentation de la dette dans la première moitié des années 1980, sous l’impact de la révolution néolibérale et de la politique de taux d’intérêts élevés menée par Ronald Reagan et Margaret Thatcher.

Mais le taux de croissance de l’économie lui-même n’est pas indépendant des dépenses publiques : à court terme l’existence de dépenses publiques stables limite l’ampleur des récessions (« stabilisateurs automatiques ») ; à long terme les investissements et dépenses publiques (éducation, santé, recherche, infrastructures...) stimulent la croissance. Il est faux d’affirmer que tout déficit public accroît d’autant la dette publique, ou que toute réduction du déficit permet de réduire la dette. Si la réduction des déficits plombe l’activité économique, la dette s’alourdira encore plus. Les commentateurs libéraux soulignent que certains pays (Canada, Suède, Israël) ont réalisé de très brutaux ajustements de leurs comptes publics dans les années 1990 et connu immédiatement après un fort rebond de la croissance.

Mais cela n’est possible que si l’ajustement concerne un pays isolé, qui regagne rapidement de la compétitivité sur ses concurrents. Ce qu’oublient évidemment les partisans de l’ajustement structurel européen, c’est que les pays européens ont pour principaux clients et concurrents les autres pays européens, l’Union européenne étant globalement peu ouverte sur l’extérieur. Une réduction simultanée et massive des dépenses publiques de l’ensemble des pays de l’Union ne peut avoir pour effet qu’une récession aggravée et donc un nouvel alourdissement de la dette publique.

Pour éviter que le rétablissement des finances publiques ne provoque un désastre social et politique nous mettons en débat deux mesures :

Mesure n°10 : Maintenir le niveau des protections sociales, voire les améliorer (assurance-chômage, logement…) ;

Mesure n°11 : accroître l’effort budgétaire en matière d’éducation, de recherche, d’investissements dans la reconversion écologique... pour mettre en place les conditions d’une croissance soutenable, permettant une forte baisse du chômage.

FAUSSE EVIDENCE N°6 : LA DETTE PUBLIQUE REPORTE LE PRIX DE NOS EXCES SUR NOS PETITS-ENFANTS

Il est une autre affirmation fallacieuse qui confond économie ménagère et macroéconomie, celle selon laquelle la dette publique serait un transfert de richesse au détriment des générations futures. La dette publique est bien un mécanisme de transfert de richesses, mais c’est surtout des contribuables ordinaires vers les rentiers.

En effet, se fondant sur la croyance rarement vérifiée selon laquelle baisser les impôts stimulerait la croissance et accroîtrait in fine les recettes publiques, les États européens ont depuis 1980 imité les USA dans une politique de moins-disant fiscal systématique. Les réductions d’impôt et de cotisations se sont multipliées (sur les bénéfices des sociétés, sur le revenu des particuliers les plus aisés, sur les patrimoines, sur les cotisations patronales...), mais leur impact sur la croissance économique est resté très incertain. Ces politiques fiscales anti-redistributives ont donc aggravé à la fois, et de façon cumulative, les inégalités sociales et les déficits publics.

Ces politiques fiscales ont obligé les administrations publiques à s’endetter auprès des ménages aisés et des marchés financiers pour financer les déficits ainsi créés. C’est ce qu’on pourrait appeler « l’effet jackpot » : avec l’argent économisé sur leurs impôts, les riches ont pu acquérir les titres (porteurs d’intérêts) de la dette publique émise pour financer les déficits publics provoqués par les réductions d’impôts... Le service de la dette publique en France représente ainsi 40 milliards d’euros par an, presqu’autant que les recettes de l’impôt sur le revenu. Tour de force d’autant plus brillant qu’on a ensuite réussi à faire croire au public que la dette publique était la faute des fonctionnaires, des retraités et des malades.

L’accroissement de la dette publique en Europe ou aux USA n’est donc pas le résultat de politiques keynésiennes expansionnistes ou de politiques sociales dispendieuses mais bien plutôt d’une politique en faveur des couches privilégiées : les « dépenses fiscales » (baisses d’impôts et de cotisations) augmentent le revenu disponible de ceux qui en ont le moins besoin, qui du coup peuvent accroître encore davantage leurs placements notamment en Bons du Trésor, lesquels sont rémunérés en intérêts par l’impôt prélevé sur tous les contribuables. Au total se met en place un mécanisme de redistribution à rebours, des classes populaires vers les classes aisées, via la dette publique dont la contrepartie est toujours de la rente privée.

Pour redresser de façon équitable les finances publiques en Europe et en France nous mettons en débat deux mesures :

Mesure n°12 : redonner un caractère fortement redistributif à la fiscalité directe sur les revenus (suppression des niches, création de nouvelles tranches et augmentation des taux de l’impôt sur le revenu…) Mesure n°13 : supprimer les exonérations consenties aux entreprises sans effets suffisants sur l’emploi

FAUSSE EVIDENCE N°7 : IL FAUT RASSURER LES MARCHES FINANCIERS POUR POUVOIR FINANCER LA DETTE PUBLIQUE

Au niveau mondial, la montée des dettes publiques doit être analysée corrélativement à la financiarisation. Durant les trente dernières années, à la faveur de la totale libéralisation de la circulation des capitaux, la finance a accru considérablement son emprise sur l’économie. Les grandes entreprises recourent de moins en moins au crédit bancaire et de plus en plus aux marchés financiers. Les ménages aussi voient une part croissante de leur épargne drainée vers la finance pour leurs retraites, via les divers produits de placement ou encore dans certains pays via le financement de leur logement (prêts hypothécaires). Les gestionnaires de portefeuille cherchant à diversifier les risques, ils recherchent des titres publics en complément de titres privés. Ils les trouvaient facilement sur les marchés car les gouvernements menaient des politiques similaires conduisant à un essor des déficits : taux d’intérêt élevés, baisses d’impôts ciblées sur les hauts revenus, incitations massives à l’épargne financière des ménages pour favoriser les retraites par capitalisation, etc.

Au niveau de l’UE, la financiarisation de la dette publique a été inscrite dans les traités : depuis Maastricht les Banques centrales ont interdiction de financer directement les États, qui doivent trouver prêteurs sur les marchés financiers. Cette « répression monétaire » accompagne la « libération financière » et prend l’exact contrepied des politiques adoptées après la grande crise des années 1930, de « répression financière » (restrictions drastiques à la liberté d’action de la finance) et de « libération monétaire » (avec la fin de l’étalon-or). Il s’agit de soumettre les États, supposés par nature trop dépensiers, à la discipline de marchés financiers supposés par nature efficients et omniscients.

Résultat de ce choix doctrinaire, la Banque centrale européenne n’a ainsi pas le droit de souscrire directement aux émissions d’obligations publique des États européens. Privés de la garantie de pouvoir toujours se financer auprès de la Banque Centrale, les pays du Sud ont ainsi été les victimes d’attaques spéculatives. Certes depuis quelques mois, alors qu’elle s’y était toujours refusé au nom d’une orthodoxie sans faille, la BCE achète des obligations d’État au taux d’intérêt du marché pour calmer les tensions sur le marché obligataire européen. Mais rien ne dit que cela suffira, si la crise de la dette s’aggrave et que les taux d’intérêt de marché s’envolent. Il pourrait alors être difficile de maintenir cette orthodoxie monétaire dénuée de fondements scientifiques sérieux.

Pour remédier au problème de la dette publique nous mettons en débat deux mesures :

Mesure n°14 : autoriser la Banque centrale européenne à financer directement les États (ou à imposer aux banques commerciales de souscrire à l’émission d’obligations publiques) à bas taux d’intérêt, desserrant ainsi le carcan dans lequel les marchés financiers les étreignent

Mesure n°15 : si nécessaire, restructurer la dette publique, par exemple en plafonnant le service de la dette publique à un certain % du PIB, et en opérant une discrimination entre les créanciers selon le volume des titres qu’ils détiennent : les très gros rentiers (particuliers ou institutions) doivent consentir un allongement sensible du profil de la dette, voire des annulations partielles ou totales. Il faut aussi renégocier les taux d’intérêt exorbitants des titres émis par les pays en difficulté depuis la crise.

FAUSSE EVIDENCE N°8 : L’UNION EUROPÉNNE DÉFEND LE MODELE SOCIAL EUROPÉEN

La construction européenne apparaît comme une expérience ambiguë. Deux visions de l’Europe coexistent, sans oser s’affronter ouvertement. Pour les sociaux-démocrates l’Europe aurait dû se donner l’objectif de promouvoir le modèle social européen, fruit du compromis social de l’après seconde guerre mondiale, avec sa protection sociale, ses services publics et ses politiques industrielles. Elle aurait dû constituer un rempart face à la mondialisation libérale, un moyen de protéger, de faire vivre et progresser ce modèle. L’Europe aurait dû défendre une vision spécifique de l’organisation de l’économie mondiale, la mondialisation régulée par des organismes de gouvernance mondiale. Elle aurait dû permettre aux pays membres de maintenir un niveau élevé de dépenses publiques et de redistribution, en protégeant leur capacité de les financer par l’harmonisation de la fiscalité sur les personnes, les entreprises, les revenus du capital.

Cependant l’Europe n’a pas voulu assumer sa spécificité. La vision dominante actuellement à Bruxelles et au sein de la plupart des gouvernements nationaux est au contraire celle d’une Europe libérale, dont l’objectif est d’adapter les sociétés européennes aux exigences de la mondialisation : la construction européenne est l’occasion de mettre en cause le modèle social européen et de déréguler l’économie. La prééminence du droit de la concurrence sur les réglementations nationales et sur les droits sociaux dans le Marché unique permet d’introduire plus de concurrence sur les marchés des produits et des services, de diminuer l’importance des services publics et d’organiser la mise en concurrence des travailleurs européens.

La concurrence sociale et fiscale a permis de réduire les impôts, notamment sur les revenus du capital et des entreprises (les « bases mobiles »), et de faire pression sur les dépenses sociales. Les traités garantissent quatre libertés fondamentales : la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux. Mais loin de se limiter au marché intérieur, la liberté de circulation des capitaux a été accordée aux investisseurs du monde entier, soumettant ainsi le tissu productif européen aux contraintes de valorisation des capitaux internationaux. La construction européenne apparaît comme un moyen d’imposer aux peuples des réformes néolibérales.

L’organisation de la politique macroéconomique (indépendance de la Banque Centrale Européenne vis-à-vis du politique, Pacte de stabilité) est marquée par la méfiance envers les gouvernements démocratiquement élus. Il s’agit de priver les pays de toute autonomie en matière de politique monétaire comme en matière budgétaire. L’équilibre budgétaire doit être atteint, puis toute politique discrétionnaire de relance bannie, pour ne plus laisser jouer que la « stabilisation automatique ». Aucune politique conjoncturelle commune n’est mise en œuvre au niveau de la zone, aucun objectif commun n’est défini en termes de croissance ou d’emploi . Les différences de situation entre les pays ne sont pas prises en compte, puisque le pacte ne s’intéresse ni aux taux d’inflation ni aux déficits extérieurs nationaux ; les objectifs de finances publiques ne tiennent pas compte des situations économiques nationales.

Les instances européennes ont tenté d’impulser des réformes structurelles (par les Grandes orientations de politiques économiques, la Méthode ouvertes de coordination, ou l’Agenda de Lisbonne) avec un succès très inégal. Leur mode d’élaboration n’était ni démocratique, ni mobilisateur, leur orientation libérale ne correspondait pas obligatoirement aux politiques décidées au niveau national, compte tenu des rapports de forces existant dans chaque pays. Cette orientation n’a pas connue d’emblée les succès éclatants qui l’auraient légitimée. Le mouvement de libéralisation économique a été remis en cause (échec de la directive Bolkestein) ; certains pays ont été tentés de nationaliser leur politique industrielle tandis que la plupart s’opposaient à l’européanisation de leurs politiques fiscales ou sociales. L’Europe sociale est restée un vain mot, seule l’Europe de la concurrence et de la finance s’est réellement affirmée.

Pour que l’Europe puisse promouvoir véritablement un modèle social européen, nous mettons en débat deux mesures :

Mesure n°16 : remettre en cause la libre circulation des capitaux et des marchandises entre l’Union européenne et le reste du monde, en négociant des accords multilatéraux ou bilatéraux si nécessaire

Mesure n°17 : au lieu de la politique de concurrence, faire de « l’harmonisation dans le progrès » le fil directeur de la construction européenne. Mettre en place des objectifs communs à portée contraignante en matière de progrès social comme en matière macroéconomique (des GOPS, grandes orientations de politique sociale)

FAUSSE EVIDENCE N°9 : L’EURO EST UN BOUCLIER CONTRE LA CRISE

L’euro aurait dû être un facteur de protection contre la crise financière mondiale. Après tout, la suppression de toute incertitude sur les taux de change entre monnaies européennes a éliminé un facteur majeur d’instabilité. Pourtant, il n’en a rien été : l’Europe est plus durement et plus durablement affectée par la crise que le reste du monde. Cela tient aux modalités-mêmes de construction de l’union monétaire.

Depuis 1999 la zone euro a connu une croissance relativement médiocre et un accroissement des divergences entre les États membres en termes de croissance, d’inflation, de chômage et de déséquilibres extérieurs. Le cadre de politique économique de la zone euro, qui tend à imposer des politiques macroéconomiques semblables pour des pays dans des situations différentes, a élargi les disparités de croissance entre les États membres. Dans la plupart des pays, en particulier les plus grands, l’introduction de l’euro n’a pas provoqué l’accélération promise de la croissance. Pour d’autres, il y a eu croissance mais au prix de déséquilibres difficilement soutenables. La rigidité monétaire et budgétaire, renforcée par l’euro, a permis de faire porter tout le poids des ajustements sur le travail. On a promu la flexibilité et l’austérité salariale, réduit la part des salaires dans le revenu total, accru les inégalités.

Cette course au moins disant social a été remportée par l’Allemagne qui a su dégager d’importants surplus commerciaux au détriment de ses voisins et surtout de ses propres salariés, en s’imposant une baisse du coût du travail et des prestations sociales, ce qui lui a conféré un avantage commercial par rapport à ses voisins qui n’ont pu traiter leurs travailleurs aussi durement. Les excédents commerciaux allemands pèsent sur la croissance des autres pays. Les déficits budgétaires et commerciaux des uns ne sont que la contrepartie des excédents des autres... Les États membres n’ont pas été capables de définir une stratégie coordonnée.

La zone euro aurait du être moins touché que les États-Unis ou le Royaume-Uni par la crise financière. Les ménages sont nettement moins impliqués dans les marchés financiers, qui sont moins sophistiqués. Les finances publiques étaient dans une meilleure situation ; le déficit public de l’ensemble des pays de la zone était de 0,6% du PIB en 2007, contre près de 3% aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou au Japon. Mais la zone euro souffrait d’un creusement des déséquilibres : les pays du Nord (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Pays Scandinaves) bridaient leurs salaires et leurs demandes internes et accumulaient des excédents extérieurs, alors que les pays du Sud (Espagne, Grèce, Irlande) connaissaient une croissance vigoureuse impulsée par des taux d’intérêt faibles relativement au taux de croissance, tout en accumulant des déficits extérieurs.

Alors que la crise financière est partie des États-Unis, ceux-ci ont tenté de mettre en œuvre une réelle politique de relance budgétaire et monétaire, tout en initiant un mouvement de re-régulation financière. L’Europe au contraire n’a pas su s’engager dans une politique suffisamment réactive. De 2007 à 2010, l’impulsion budgétaire a été de l’ordre de 1,6 point de PIB dans la zone Euro ; de 3,2 points au Royaume-Uni ; de 4,2 points aux États-Unis. La perte de production due à la crise a été nettement plus forte dans la zone euro qu’aux États-Unis. Le creusement des déficits dans la zone a été subi plutôt que le résultat d’une politique active.

En même temps, la Commission a continué de lancer des procédures de déficit excessif contre les États-membres de sorte qu’à la mi-2010 pratiquement tous les États de la zone y étaient soumis. Elle a demandé aux États-membres de s’engager à revenir avant 2013 ou 2014 sous la barre de 3%, indépendamment de l’évolution économique. Les instances européennes ont continué de réclamer des politiques salariales restrictives et des remises en cause des systèmes publics de retraite et de santé, au risque évident d’enfoncer le continent dans la dépression et d’accroître les tensions entre les pays.

Cette absence de coordination, et plus fondamentalement l’absence d’un vrai budget européen permettant une solidarité effective entre les États membres, ont incité les opérateurs financiers à se détourner de l’euro, voire à spéculer ouvertement contre lui.

Pour que l’euro puisse réellement protéger les citoyens européens de la crise nous mettons en débat deux mesures :

Mesure n°18 : assurer une véritable coordination des politiques macroéconomiques et une réduction concertée des déséquilibres commerciaux entre pays européens

Mesure n°19 : compenser les déséquilibres de paiements en Europe par une Banque de Règlements (organisant les prêts entre pays européens)

Mesure n°20 : si la crise de l’euro mène à son éclatement, et en attendant la montée en régime du budget européen (cf. infra), établir un régime monétaire intraeuropéen (monnaie commune de type « bancor ») qui organise la résorption des déséquilibres des balances commerciales au sein de l’Europe

FAUSSE EVIDENCE N°10 : LA CRISE GRECQUE A ENFIN PERMIS D’AVANCER VERS UN GOUVERNEMENT ECONOMIQUE ET UNE VRAIE SOLIDARITE EUROPEENNE

A partir de la mi-2009, les marchés financiers ont commencé à spéculer sur les dettes des pays européens. Globalement, la forte hausse des dettes et des déficits publics à l’échelle mondiale n’a pas (encore) entrainé de hausses des taux longs : les opérateurs financiers estiment que les banques centrales maintiendront longtemps les taux monétaires réels à un niveau proche de zéro, et qu’il n’y a pas de risque d’inflation ni de défaut d’un grand pays. Mais les spéculateurs ont perçu les failles de l’organisation de la zone euro. Alors que les gouvernements des autres pays développés peuvent toujours être financés par leur Banque centrale, les pays de la zone euro ont renoncé à cette possibilité, et dépendent totalement des marchés pour financer leurs déficits. Du coup, la spéculation a pu se déclencher sur les pays les plus fragiles de la zone : Grèce, Espagne, Irlande.

Les instances européennes et les gouvernements ont tardé à réagir, ne voulant pas donner l’impression que les pays membres avaient droit à un soutien sans limite de leurs partenaires et voulant sanctionner la Grèce, coupable d’avoir masqué – avec l’aide de Goldman Sachs – l’ampleur de ses déficits. Toutefois, en mai 2010, la BCE et les pays membres ont dû créer dans l’urgence un Fonds de stabilisation pour indiquer aux marchés qu’ils apporteraient ce soutien sans limite aux pays menacés. En contrepartie, ceux-ci ont du annoncer des programmes d’austérité budgétaire sans précédent, qui vont les condamner à un recul de l’activité à court terme et à une longue période de récession. Sous pression du FMI et de la Commission européenne la Grèce doit privatiser ses services publics et l’Espagne flexibiliser son marché du travail. Même la France et l’Allemagne, qui ne sont pas attaqués par la spéculation, ont annoncé des mesures restrictives.

Pourtant, globalement, la demande n’est aucunement excessive en Europe. La situation des finances publiques est meilleure que celle des États-Unis ou de la Grande-Bretagne, laissant des marges de manœuvre budgétaire. Il faut résorber les déséquilibres de façon coordonnée : les pays excédentaires du Nord et du centre de l’Europe doivent mener des politiques expansionnistes – hausse des salaires, des dépenses sociales... - pour compenser les politiques restrictives des pays du Sud. Globalement, la politique budgétaire ne doit pas être restrictive dans la zone Euro, tant que l’économie européenne ne se rapproche pas à une vitesse satisfaisante du plein-emploi.

Mais les partisans des politiques budgétaires automatiques et restrictives en Europe sont malheureusement aujourd’hui renforcés. La crise grecque permet de faire oublier les origines de la crise financière. Ceux qui ont accepté de soutenir financièrement les pays du Sud veulent imposer en contrepartie un durcissement du Pacte de Stabilité. La Commission et l’Allemagne veulent imposer à tous les pays membres d’inscrire l’objectif de budget équilibré dans leur constitution, de faire surveiller leur politique budgétaire par des comités d’experts indépendants. La Commission veut imposer aux pays une longue cure d’austérité pour revenir à une dette publique inférieure à 60% du PIB. S’il y a une avancée vers un gouvernement économique européen, c’est vers un gouvernement qui, au lieu de desserrer l’étau de la finance, va imposer l’austérité et approfondir les « réformes » structurelles au détriment des solidarités sociales dans chaque pays et entre les pays.

La crise offre aux élites financières et aux technocraties européennes la tentation de mettre en œuvre la « stratégie du choc , en profitant de la crise pour radicaliser l’agenda néolibéral. Mais cette politique a peu de chances de succès :

- La diminution des dépenses publiques va compromettre l’effort nécessaire à l’échelle européenne pour soutenir les dépenses d’avenir (recherche, éducation, politique familiale), pour aider l’industrie européenne à se maintenir et à investir dans les secteurs d’avenir (économie verte).

- La crise va permettre d’imposer de fortes réductions des dépenses sociales, objectif inlassablement recherché par les tenants du néolibéralisme, au risque de compromettre la cohésion sociale, de réduire la demande effective, de pousser les ménages à épargner pour leur retraite et leur santé auprès des institutions financières, responsables de la crise.

- Les gouvernements et les instances européennes se refusent à organiser l’harmonisation fiscale qui permettrait la hausse nécessaire des impôts sur le secteur financier, sur les patrimoines importants et les hauts revenus.

- Les pays européens instaurent durablement des politiques budgétaires restrictives qui vont lourdement peser sur la croissance. Les recettes fiscales vont chuter. Aussi, les soldes publics ne seront guère améliorés, les ratios de dette seront dégradés, les marchés ne seront pas rassurés.

- Les pays européens, du fait de la diversité de leurs cultures politiques et sociales, n’ont pas pu se plier tous à la discipline de fer imposée par le traité de Maastricht ; ils ne se plieront pas tous à son renforcement actuellement organisé. Le risque d’enclencher une dynamique de repli sur soi généralisé est réel.

Pour avancer vers un véritable gouvernement économique et une solidarité européenne nous mettons en débat deux mesures :

Mesure n°21 : développer une fiscalité européenne (taxe carbone, impôt sur les bénéfices, …) et un véritable budget européen pour aider à la convergence des économies et tendre vers une égalisation des conditions d’accès aux services publics et sociaux dans les divers États membres sur la base des meilleures pratiques.

Mesure n°22 : lancer un vaste plan européen, financé par souscription auprès du public à taux d’intérêt faible mais garanti, et/ou par création monétaire de la BCE, pour engager la reconversion écologique de l’économie européenne.

CONCLUSION

METTRE EN DÉBAT LA POLITIQUE ECONOMIQUE, TRACER DES CHEMINS POUR REFONDER L’UNION EUROPEENNE

L’Europe s’est construite depuis trois décennies sur une base technocratique excluant les populations du débat de politique économique. La doctrine néolibérale, qui repose sur l’hypothèse aujourd’hui indéfendable de l’efficience des marchés financiers, doit être abandonnée. Il faut rouvrir l’espace des politiques possibles et mettre en débat des propositions alternatives et cohérentes, qui brident le pouvoir de la finance et organisent l’harmonisation dans le progrès des systèmes économiques et sociaux européens.

Cela suppose la mutualisation d’importantes ressources budgétaires, dégagées par le développement d’une fiscalité européenne fortement redistributrice. Il faut aussi dégager les États de l’étreinte des marchés financiers. C’est seulement ainsi que le projet de construction européenne pourra espérer retrouver une légitimité populaire et démocratique qui lui fait aujourd’hui défaut.

Il n’est évidemment pas réaliste d’imaginer que 27 pays décideront en même temps d’opérer une telle rupture dans la méthode et les objectifs de la construction européenne. La Communauté économique européenne a commencé avec six pays : la refondation de l’Union européenne passera elle aussi au début par un accord entre quelques pays désireux d’explorer des voies alternatives. A mesure que deviendront évidentes les conséquences désastreuses des politiques aujourd’hui adoptées, le débat sur les alternatives montera partout en Europe. Des luttes sociales et des changements politiques interviendront à un rythme différent selon les pays. Des gouvernements nationaux prendront des décisions innovantes. Ceux qui le désireront devront adopter des coopérations renforcées pour prendre des mesures audacieuses en matière de régulation financière, de politique fiscale ou sociale. Par des propositions concrètes ils tendront la main aux autres peuples pour qu’ils rejoignent le mouvement.

C’est pourquoi il nous semble important d’ébaucher et de mettre en débat dès maintenant les grandes lignes de politiques économiques alternatives qui rendront possible cette refondation de la construction européenne.

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dimanche 26 septembre 2010

vendredi 10 septembre 2010

Assemblée - deuxième séance du 7 septembre

Roland Muzeau (PCF) renvoi en commission

N’en déplaise aux néo-libéraux que vous êtes, shootés à un individualisme toujours ennemi de 1’égalité et de la solidarité, la France est en mesure d’assurer collectivement une retraite et un revenu décents à ses aînés. Nous devons aujourd’hui ambitionner pour les plus jeunes un projet autrement porteur que votre « épargnez pour votre avenir ! » C’est une question de choix politique....

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Des millions de manifestants vous ont interpellés. Plus nombreux encore, des millions de grévistes vous interrogent. Vous les méprisez !...

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Nous avons conscience qu’il est nécessaire, qu’il est indispensable, de repenser la protection sociale en général, affaiblie par la dégradation du statut de l’emploi, l’enracinement de la précarité et de la pauvreté qui résultent de ce capitalisme au nouveau visage de capitalisme de casino.

Nous mesurons les besoins structurels et conjoncturels de financement de nos régimes de retraite, plombés par la crise. Si les 680 000 suppressions d’emploi des 18 derniers mois pèsent effectivement lourd dans les comptes des régimes, en multipliant par trois les besoins de financement, notre système de retraite est surtout asséché par le refus des gouvernements de droite d’augmenter les ressources des régimes, par les désastreux choix de politiques économiques et de l’emploi de ces mêmes gouvernements, qui conduisent à ce que la part des produits financiers dans la valeur ajoutée des entreprises soit désormais près de deux fois supérieure à celle des cotisations sociales.

Nous mesurons la perte de confiance dans notre système de retraite des deux tiers des moins de 35 ans qui pensent qu’ils n’auront pas de retraite confortable, tandis que d’autres souffrent de la chute du niveau des pensions, une chute de 13 % en moyenne pour les salariés du privé....

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Denis Kessler, président du cinquième groupe réassureur mondial, défend une réforme systémique de nos régimes de retraite avec l’instauration d’un régime unique par points misant sur la responsabilité individuelle et la réduction au minimum du système de solidarité collective. Écoutez-le bien, car c’est, à droite, votre maître à penser !

« Le modèle social français, dit-il, est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le Gouvernement s’y emploie…

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À l’inverse, nous pensons que notre modèle social, né au sortir de la guerre, avec ses mécanismes de solidarité protégeant les individus contre les risques sociaux, loin d’être désuet, a justement permis le développement d’une société moderne et que ce modèle garde toute son actualité.

Cette « garantie donnée à chaque homme qu’en toutes circonstances il pourra assurer dans des conditions satisfaisantes sa subsistance », objet de la sécurité sociale selon Pierre Laroque, cette reconnaissance de droits sont autant de supports indispensables à la construction de l’existence sociale de chacun. Sans cette solidarité entre les générations, il n’y a plus de pacte social ni de garantie que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Plus d’adhésion possible à un projet, aux règles communes indispensables au vivre ensemble, plus de contrat social....

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Ironie de l’histoire, au plus fort de la crise du capitalisme financier, ceux qui, hier, accusaient le modèle français d’être un frein à la croissance et à l’emploi, ont redécouvert comme par miracle ses vertus et son efficacité. Les critiques se sont faites moins ouvertes contre l’État social, contre notre système de protection sociale. ... Les mois ont passé, cette réalité semble déjà oubliée.

La patronne des patrons a regretté, après la présentation du texte par le Gouvernement, qu’il « n’ait pas prévu la piste d’un nouveau dispositif de retraites intégrant une part de capitalisation très incitatif, voire obligatoire »..... Entendue par le chef de l’État sur le « verrou » de l’âge légal, il se pourrait bien que Mme Parisot le soit aussi sur les mécanismes individuels, un volet épargne retraite assez conséquent ayant déjà été adjoint au texte par la majorité dans le cadre de la commission des affaires sociales – versement obligatoire sur le PERCO, soit le plan d’épargne pour la retraite collectif, d’au moins la moitié des sommes perçues par un salarié au titre de la participation aux résultats de l’entreprise. Et cet après-midi, la commission des affaires sociales en a rajouté une grosse louche…

....

Dans un livre vert sur les retraites, intitulé Vers des systèmes de retraite adéquats, viables et sûrs en Europe, publié en juillet dernier, la Commission européenne, qui souhaite ouvrir un débat européen sur le sujet, recommande de traiter de façon coordonnée certains thèmes communs, dont le fonctionnement du marché intérieur, les exigences résultant du Pacte de stabilité et de croissance, ainsi que les réformes des retraites qui doivent être cohérentes avec la stratégie « Europe 2020 ». Pour consolider le marché des retraites, il n’est ni plus ni moins envisagé que le développement des régimes complémentaires et d’une offre assurantielle individuelle pour les travailleurs, l’instauration d’un régime de retraite privé à l’échelle des vingt-sept coexistant avec les systèmes nationaux.

C’est dans ce contexte que, surfant sur les conséquences de la crise du système capitaliste et sur les sommets atteints par la dette – multipliée, rappelons-le tout de même, par trois depuis 2002 suite aux choix fiscaux et économiques de classe des gouvernements de droite –, le Gouvernement a choisi de précipiter ce rendez-vous retraites et décidé de son contenu brutal et des sacrifices supplémentaires exigés des salariés et des fonctionnaires.

Pour conserver le triple AAA des agences de notation, baromètres actifs de la financiarisation, le Président de la République s’est encore une fois parjuré. ..... Nos choix sociaux, la gestion de notre pays, les économies à réaliser sont désormais ouvertement dictés par les agences financières avec la complaisance des gouvernements...

....

Dans l’entourage présidentiel, on joue de cette confusion entre dépenses publiques et dépenses de sécurité sociale, et on assume désormais très ouvertement. « L’affaire des retraites est plus lourde que le problème du déficit de l’État » dit Alain Minc, un proche conseiller. « Aujourd’hui la politique économique française est accrochée à un principe : ne pas perdre le triple A... que nous donnent les agences de notations et, de ce point de vue, la réforme des retraites est clé, plus clé encore que les affaires budgétaires. »

Ces propos ont le mérite de la clarté, la motivation présidentielle de réformer les retraites par-delà l’affichage de circonstance de « sauvegarde de la répartition » se résume à la diminution des dépenses sociales et à la réduction des droits.

......

Pourquoi avoir posé comme postulat, sous couvert toujours de sauvegarder la compétitivité des entreprises, l’impossibilité d’augmenter les ressources des régimes de retraite ? Pourquoi avoir bloqué pour l’avenir à 13 % la part que représentent les prestations vieillesse dans le PIB, si ce n’est parce que, justement, le Gouvernement refuse d’aborder la question de la répartition des richesses dans notre pays ?

Vous savez pourtant que seule une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre le capital et le travail, combinée au développement quantitatif et qualitatif de l’emploi rémunéré à sa juste valeur, est de nature à répondre durablement aux besoins de financement de notre système de protection sociale.

Or vous continuez à cacher certains chiffres pour mieux protéger les dividendes. Selon la Commission européenne, la part des salaires dans la valeur ajoutée a chuté en France de 9,3 % entre 1983 et 2006, soit l’équivalent de près de 100 milliards d’euros par an qui bénéficient au capital plutôt qu’au travail, tandis que, sur la même période, la part des dividendes versée aux actionnaires passait de 3,2 % à 8,5 % du PIB – et de 5 % de la valeur ajoutée à près de 25 % !

La proportion croissante des revenus accaparés par le capital se double de l’utilisation des revenus du capital contre l’emploi, avec la spéculation et les délocalisations qui vous tourmentent, monsieur Méhaignerie, comme nous. Trois chiffres illustrent l’impossible coexistence du capitalisme financier avec notre système de protection sociale par répartition : entre 1993 et 2009, le volume des cotisations sociales a augmenté de 19 %, tandis que le PIB, notamment en raison des gains de productivité, augmentait de 33 % et que les revenus financiers des entreprises et des banques progressaient de 143 %.

Par ailleurs, la part des produits financiers dans la valeur ajoutée des entreprises est désormais près de deux fois supérieure – 29 % contre 15 % – à celle de leurs cotisations sociales. Il devient donc de plus en plus difficile pour les entreprises et le secteur financier de concilier le maintien d’un taux d’emploi élevé, leur contribution au financement de la protection sociale et les revenus qu’ils doivent servir au capital, eux-mêmes détournés de l’investissement productif.

Les parlementaires communistes, républicains et du parti de gauche ont construit un contre-projet afin de financer le droit à la retraite à 60 ans, fixant des objectifs clairs en matière de niveau de pension et de réduction des inégalités de genre, des inégalités entre salariés. Avec cette proposition de loi, qui a recueilli à ce jour plus de 120 000 signatures, nous apportons des recettes dynamiques, plus de 36 milliards de recettes nouvelles au financement de la protection sociale, dont 14 milliards pour les retraites – soit l’équivalent du déficit. Nous faisons également la démonstration que c’est en enclenchant un autre modèle de croissance, en désintoxiquant notre économie de la financiarisation, que l’on répondra à l’enjeu du financement de notre modèle de protection sociale.

De tout cela, malheureusement, nous ne pourrons pas débattre ou alors de façon tronquée ou partielle. Tous les amendements fiscaux du Gouvernement traduisant ses maigres mesures en matière de financement, toutes nos propositions de financement de nos régimes de retraite étant renvoyés au financement de la sécurité sociale et au projet de loi de finances de cet automne.

Les syndicats vous demandent également ce débat sur le financement : acceptez de l’ouvrir enfin sans exclusive !... Consentez à renoncer, après concertation avec les partenaires sociaux, au relèvement de 60 à 62 ans de l’âge de départ, de 65 à 67 ans de celui du taux plein. Acceptez de renvoyer ce texte en commission.

À défaut, faites au moins preuve de franchise envers les Français. Ne les trompez pas comme en 2003 ! Avouez que votre réforme ne garantit absolument pas le niveau des futures pensions et qu’elle n’est en rien un frein, bien au contraire, à la baisse programmée des pensions. Ainsi, d’après les projections du COR – sur la base de quarante et une annuités de cotisations –, le taux de remplacement à 60 ans passerait en dessous de 50 % dès que l’entrée dans la vie active se ferait après 22 ans, ce qui constitue une baisse de près de vingt points en vingt ans. Selon une étude réalisée par la Commission européenne, rendue publique en juillet dernier, en raison des réformes Balladur et Fillon déjà actées, la France est un des pays d’Europe où le décrochage entre la pension nette que touche un retraité et son salaire au moment de son départ à la retraite sera le plus fort, et la quatrième baisse la plus forte parmi les 27.

C’est la réalité ! Le taux de remplacement devrait ainsi passer de 79 % en 2006 à 63 % en 2046, soit une chute de 16,5 points. Cette réalité bien connue ne manque pas d’aiguiser les appétits des opérateurs du marché de l’assurance sociale....

Prenons l’exemple des fonctionnaires doublement pénalisés par l’alignement de leur taux de cotisation sur celui des salariés du privé. Du fait du surcroît de cotisation, ils subiront tout de suite une baisse de leur pouvoir d’achat de 6 euros en moyenne par mois par agent. Au moment de la liquidation de leurs droits à la retraite en raison du durcissement des règles du minimum garanti, ceux – majoritairement des femmes – ayant eu une carrière incomplète notamment perdront, en moyenne, les 150 euros supplémentaires qu’ils pouvaient avoir sur leurs petites pensions de 1 000 euros.

Elle est injuste parce qu’elle conduit à baisser la retraite de nos concitoyens. Le relèvement des bornes d’âge est la mesure la plus inégalitaire qu’il soit, d’autant qu’elle se double de l’allongement de la durée de cotisation exigée pour bénéficier d’une retraite à taux plein, programmée par la réforme Fillon pour passer de 40,5 annuités aujourd’hui à 41 ans en 2012 et 41,5 ans en 2020 ; cet ajustement à l’augmentation de l’espérance de vie, que vous entendez rendre automatique, est donc amené à augmenter encore.

Les femmes victimes de discriminations dans la sphère professionnelle, davantage victimes du travail à temps partiel contraint, ont en moyenne des durées validées beaucoup plus faibles que celles des hommes et sont donc proportionnellement plus nombreuses à ne pas valider une carrière complète. Ainsi, selon une étude de 2007 de la DREES, parmi les retraités seulement 44 % des femmes ont réussi à valider une carrière complète contre 86 % des hommes. La décote les concerne plus que les hommes aussi et son ampleur est également plus forte. ...

En 2009, par exemple, 24,1 % des femmes assurées du régime général sont parties à 65 ans ou plus tard, contre 16,5 % des hommes. Contrairement à ce que vous avancez, les dispositifs de solidarité existant au sein de nos régimes de retraite sont très loin de compenser ces inégalités, ces aléas de carrière, et ce d’autant que vous vous employez à raboter ces mécanismes familiaux et conjugaux ! La loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 a remis en cause le dispositif de majoration de durée d’assurance pour les femmes salariées, leur attribuant de droit qu’une seule année validée au titre des enfants. Dans la fonction publique, les conditions encore plus restrictives – un an de droit, mais à condition d’avoir interrompu son activité notamment – suite à la réforme de 2003 sont telles que, déjà, le nombre moyen de trimestres validés par les femmes est passé de 8,7 à 7,9 trimestres en l’espace de trois ans. Il est maintenant question de supprimer le dispositif de départ anticipé pour les fonctionnaires ayant quinze ans de service et trois enfants....

Les conséquences humaines et sociales de votre réforme se feront également sentir très durement pour les ouvriers, ceux qui ont commencé à travailler jeunes souvent dans des conditions très pénibles, qui ont cotisé leurs 40 ans avant leur soixantième anniversaire dans des métiers difficiles, peu qualifiés, sans oublier les apprentis, donc ceux qui paieront, en quelque sorte, la retraite des cadres.

Permettez-moi, là encore, de vous rappeler certaines données que vous feignez d’oublier. En raison notamment du mode de calcul des pensions, mais aussi des différences d’espérance de vie, un cadre reçoit un montant total de pension de retraite trois fois plus élevé qu’un ouvrier. L’espérance de vie d’un ouvrier est, en moyenne, plus courte que celle des cadres – six ans – doublée d’une espérance de vie en bonne santé plus faible également – les cadres vivent en moyenne dix ans de plus de leur espérance de vie totale indemnes d’incapacité. Selon l’enquête emploi 2008 de l’INSEE, l’âge moyen de fin d’étude de ces actifs ouvriers est de 17,9 ans. Il est même de 16,7 ans pour les actifs ouvriers âgés de 50 à 55 ans. Dans les prochaines années, des centaines de millier d’ouvriers totaliseront donc 45 ans de cotisations lorsqu’ils liquideront leur retraite à 62 ans. Comment prétendre, dans ces conditions, que les ouvriers ne sont pas les principales victimes de cette réforme ? Les sujets que vous gardez sous le coude, en l’occurrence celui de la cessation anticipée d’activité pour carrière longue ou du dispositif pénibilité, prennent alors toute leur importance.

....

Contrairement aux effets d’annonces, la pénibilité ne fera pas l’objet de mesures de compensation justes et suffisantes, le droit à la retraite en bonne santé d’une durée équivalente à celle des salariés non exposés est enterré. En prescrivant la pénibilité sur ordonnance à 60 ans, par référence à un seuil d’incapacité « sans aucune pertinence médicale, sociale ou professionnelle » selon François Guillon, professeur de médecine et santé au travail, en lieu et place d’un dispositif collectif reconnaissant la pénibilité du poste de travail, de son environnement… ouvrant droit avant 60 ans, qu’il y ait ou non des effets présents et mesurables sur la santé, à bonification de trimestre, le Gouvernement présente un volet pénibilité qui se réduit à « une succession d’injustices » pour reprendre les propos du secrétaire général de la FNATH et le porte-parole de l’ANDEVA.

Ajoutons à cela le mépris que vous affichez depuis des mois en refusant aux syndicats de salariés et aux parlementaires de mettre sur la table vos propositions d’amendements.

Impossible aussi de prétendre, comme vous le faites, monsieur le ministre, que votre réforme est juste et équilibrée financièrement. La solution privilégiée du report des bornes d’âge couvrira à peine la moitié des besoins de financement à l’horizon 2020. Les craintes exprimées par les syndicats à ce sujet ont été confirmées par le rapport pour avis de la commission des finances. Le compte n’est pas bon. Pour exemple, le déficit de la CNAV dépasserait encore les 3 milliards d’euros en 2018 et atteindrait même 4 milliards en 2020, pour augmenter ensuite beaucoup. Vous lorgnez donc sur les supposés excédents de la CNRACL et du régime complémentaire AGIRC-ARRCO et espérez le basculement des cotisations de l’assurance chômage vers la branche vieillesse, sans parler, bien évidemment, du hold-up sur le fonds de réserve des retraites.

En outre, alors que 50 % des déficits sont attribuables à la crise financière, les sacrifices pèseront à plus de 85 % sur les salariés et les fonctionnaires. Pour la majorité, l’équité, c’est prendre aux salariés, répartir les efforts entre public-privé sans toucher à ceux qui ont les plus hauts revenus. Ainsi, 4,6 milliards, c’est le faible rendement attendu d’ici à 2020 des recettes nouvelles venant de la mise à contribution des hauts revenus et des revenus du capital, des taxes sur les ménages et sur les entreprises. Les économies attendues sur le dos des salariés et fonctionnaires au titre seulement du recul des bornes d’âge se chiffrent, elles, à plus de 13 milliards : fonction publique : 4,2 milliards en 2020 ; CNAV 9,08 milliards. La participation pour 4,6 milliards d’euros des plus hauts revenus et du capital au financement de notre système de protection sociale est cosmétique face à un besoin financier de 45 milliards.

Sur le relèvement des deux bornes d’âge, autre sujet majeur, marqueur lui aussi du projet sarkozyste, vous nous dites, pleins de bon sens, que puisque l’on vit plus longtemps, il paraît logique de travailler plus longtemps. Là encore, il serait temps que vous assumiez pleinement vos choix très marqués politiquement pour ne pas dire idéologiquement. Pour les libéraux que vous êtes, le temps de vie gagné doit obligatoirement être consacré à travailler. Pas un instant vous ne vous êtes dit que c’est peut-être parce que le travail occupe une place moins écrasante dans nos vies, peut-être parce que l’âge légal a justement été fixé à 60 ans, que nous vivons désormais plus longtemps. Selon vous, 62 ans serait l’âge de raison. Méconnaissez-vous donc à ce point les études en matière d’espérance de vie sans incapacité ? Elle est de 24 ans pour un homme ouvrier de 35 ans. Autrement dit, comme le développe Arnaud Parienty pour Alternatives Économiques, un homme ouvrier souffre d’incapacité à partir de 59 ans. Soixante ans est donc l’âge pertinent si l’on veut éviter aux salariés une fin de carrière très douloureuse.

Le problème est avant tout celui du chômage des jeunes, des conditions d’emploi des quinquas, vous ne pouvez l’ignorer. Un économiste venu de Mars ne comprendrait pas que la planète France débatte de la manière d’augmenter la durée du travail dans l’avenir pour des personnes ayant un certain âge alors que l’on ne parvient pas à donner aujourd’hui du travail aux jeunes…

Ce gouvernement sait que moins d’une personne sur deux occupe un emploi au moment de faire valoir ses droits à la retraite. Sont en cause les conditions de travail, mais aussi et surtout l’attitude des entreprises se séparant de leurs quinquas à moindre frais sur le dos bien souvent de l’assurance chômage ou en recourant aux ruptures conventionnelles, nouvelle invention de la droite ! Mais il fait le choix de transformer de potentiels retraités en chômeurs, en invalides, sans se soucier du coût de ce report pour la société ! Un article paru dans Les Échos,le 28 juillet, dernier révèle que le report de 65 à 67 ans coûterait plus de 200 millions par an à l’assurance chômage, 18 000 personnes devant basculer par an du chômage à la retraite. Cette note technique réalisée par Pôle emploi, depuis maintenant plus de dix mois, n’a pas été versée à nos débats, ce qui est tout à fait préjudiciable.

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À l’appui du passage de 60 à 62 ans de l’âge légal vous nous dites également, très sérieusement, que « tous nos partenaires en Europe, qu‘ils soient dirigés par la droite ou la gauche, ont reconnu cette évidence. » Ce n’est pas un argument, mais simplement le constat du caractère un peu trop consanguin de tous ces gouvernements, comme l’a montré le faux débat sur la Constitution européenne. Sur l’exemplarité des solutions européennes et le paramètre supposé incontournable de l’âge minimal, vous vous livrez, comme à l’accoutumée, à une importation pour le moins orientée et partielle. Vous savez pourtant, monsieur le ministre, que ce paramètre de l’âge minimal n’est qu’une composante des systèmes de retraite et qu’il convient donc également de regarder : la durée de cotisation minimale requise – 35 ans en Allemagne et en Espagne, 30 ans au Royaume-Uni en compensation du passage à 68 ans d’ici à 2046 de l’âge minimum – l’âge réel de départ, celui de sortie du marché du travail, les dispositifs permettant de partir de façon anticipée à la retraite – dispositifs grâce auxquels, par exemple, un quart des nouveaux retraités espagnols liquident leurs droits avant 60 ans – ou le taux de remplacement… Vous ne vous attardez pas non plus sur le fait qu’aujourd’hui en Allemagne le passage de 65 à 67 ans est contesté notamment parce que, seuls, 9,9 % des 60-64 ans exercent une activité professionnelle.

Vous obérez l’essentiel : non seulement la France n’est pas le mauvais élève de la classe, mais elle risque d’adopter l’un des systèmes les plus sévères du continent parce que le relèvement des seuils d’âge va de pair avec le durcissement des durées de cotisations.

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Après le jeu de concertation pipée avec les organisations syndicales, le Gouvernement a délibérément choisi d’expédier le temps parlementaire, de le maîtriser, de le vider de sa substance : procédure accélérée sur le texte de la législature, examen en session extraordinaire, temps programmé permettant qu’en une petite semaine – c’est ce que vous espérez – le débat soit bouclé, parodie de huis clos et de travail parlementaire en commission des affaires sociales, le rapporteur « invitant » même les députés à retirer leurs amendements sur la question clé de la pénibilité ou annonçant un avis négatif de principe sur les propositions, qu’il justifie par « le respect pour le Gouvernement et les partenaires sociaux » a priori engagés dans le dialogue, ce qui n’était pas vrai, monsieur Jacquat !

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jeudi 9 septembre 2010

préparation du budget - économies nécessaires

citation d'une partie d'un article de Martine Orange sur Médiapart (9.9.2010)


......La fiscalité des entreprises restera donc inchangée, tout comme celle des gros contribuables. Car même si certaines niches sont rabotées, ce qu'ils ne gagneront pas avec la défiscalisation leur reviendra par le biais du bouclier fiscal, déclaré monument intouchable par la voix présidentielle. Ce n'est pas l'obligation d'investir une partie des sommes économisées dans les PME, piste évoquée par Claude Guéant, qui changera véritablement la donne. Les hausses d'impôt, car il y en aura, seront assumées par le plus grand nombre, sous la forme d'un tripotage de la TVA, annoncée déjà sur les forfaits internet, ou la suppression des niches utilisées par les ménages moyens.

Injuste, le budget 2011 s'annonce aussi mensonger. En dépit des discours sur la rigueur financière du gouvernement, celui-ci est sur le point d'assumer une impasse budgétaire majeure. A ce stade, il manque entre 10 et 15 milliards d'euros pour atteindre les 50 milliards d'économies annoncées. Certains analystes commencent déjà à se méfier. Dans une de ces dernières analyses, Mathilde Lemoine, économiste chez HSBC, évoque un scénario avec un déficit de 7% et non de 6% du PIB pour la France.

Quelle sera la réaction des marchés s'ils se rendent compte que, dès la première année, la France n'est pas capable de respecter ses engagements de réduction de déficit? La question vaut des milliards d'euros. D'autant que 2011 est une année compliquée pour les finances publiques: 120 à 130 milliards d'euros de dettes arrivent à échéance. Il faudra bien les refinancer. Certains redoutent déjà un choc des taux. Le précédent de la Grèce est dans les esprits.

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8 septembre 2010 - séance de nuit


M. François Bayrou. Il est inacceptable, pour quelqu’un qui a le sens de la justice comme tous ceux qui sont sur ces bancs (« Non ! Non ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR) – en tout cas comme tous ici voudraient l’avoir –, de faire financer la réforme des retraites par des gens – des femmes pour l’essentiel – qui n’auront pas pu cotiser le nombre d’annuités exigées et qui auront donc les retraites les plus faibles.

Permettez-moi de vous dire que lorsqu’ils entendent parler de « retraite à taux plein » les Français pensent que les personnes concernées arriveront, bien que n’ayant pas suffisamment d’annuités, à avoir des retraites complètes. C’est un mensonge et une faute de présentation. En effet, il ne s’agit pas, pour ces gens, d’avoir des retraites complètes ; il s’agit d’avoir le droit de faire valoir les annuités qu’ils ont acquises, même si elles sont en petit nombre, et d’avoir une retraite proportionnelle à ce nombre. (Applaudissements sur divers bancs du groupe SRC.)

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Mme Marisol Touraine. … Or manifestement, puisque vous nous répétez à longueur de discours, monsieur le ministre, que votre réforme est juste, il faut, avant même que nous engagions le débat sur le contenu de la réforme, que vous envoyiez un signal extrêmement fort et clair à l’ensemble des Français pour leur montrer que, dans votre conception, la justice commence par l’affirmation qu’aucun Français, quelle que soit sa fortune et quels que soient ses revenus, ne sera exonéré d’une contribution pour rétablir les comptes de nos retraites.

Voilà les termes dans lesquels le débat est aujourd’hui posé. Or c’est sur ce sujet que vous ne voulez pas répondre. Nous aurons l’occasion, dans les prochains jours, d’aborder la question du financement que nous envisageons, les uns et les autres, pour le système de retraite, mais votre discours sur la justice de votre financement n’est tout simplement ni tenable, ni audible.

M. Jean-Paul

Mme Marisol Touraine. Je terminerai en disant qu’il est absolument indigne de prétendre que le projet socialiste est uniquement fondé sur des prélèvements complémentaires ou nouveaux et sur ce que vous appelez du matraquage fiscal ; car s’il y a matraquage fiscal, il est de votre côté. Le seul problème c’est que ce ne sont pas les mêmes qui vont payer.

M. Jean-Paul Bacquet. Ce sont les plus petits !

Mme Marisol Touraine. Votre gouvernement a transmis à Bruxelles l’annonce d’une augmentation des prélèvements obligatoires de deux points de la richesse nationale au cours des deux prochaines années, c'est-à-dire en 2010 et 2011.

. C’est un mensonge !

Mme Marisol Touraine. Comme je l’ai indiqué hier – et ces chiffres ont été abondamment relayés – pour un célibataire gagnant par exemple 100 000 euros par an, ce qui n’est déjà tout de même pas mal, la contribution que vous allez demander sera en effet de 202 euros. Et cette personne pourra éventuellement bénéficier d’un chèque de remboursement du bouclier fiscal.

M. Alain Néri. Eh voilà !

Mme Marisol Touraine. Et, évidemment, plus on monte dans l’échelle des revenus – pour ne pas prendre l’exemple emblématique de Mme Bettencourt ou d’autres personnalités (« Si ! Parlons-en ! » sur les bancs du groupe SRC) –, plus cela est vrai, et il est évident que ces chiffres font mal.

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Mme Marisol Touraine. Je terminerai en disant qu’il est absolument indigne de prétendre que le projet socialiste est uniquement fondé sur des prélèvements complémentaires ou nouveaux et sur ce que vous appelez du matraquage fiscal ; car s’il y a matraquage fiscal, il est de votre côté. Le seul problème c’est que ce ne sont pas les mêmes qui vont payer.

M. Jean-Paul Bacquet. Ce sont les plus petits !

Mme Marisol Touraine. Votre gouvernement a transmis à Bruxelles l’annonce d’une augmentation des prélèvements obligatoires de deux points de la richesse nationale au cours des deux prochaines années, c'est-à-dire en 2010 et 2011.

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mise au point


M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. La question de l’opportunité politique dépend de l’appréciation personnelle, mais je voudrais tout de même revenir sur les propos de notre rapporteur, M. Denis Jacquat. Je ne crois pas qu’on puisse exciper d’une circulaire du Premier ministre aux membres du Gouvernement pour imposer au Parlement de voter ou pas un texte.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. La circulaire s’applique aux membres du Gouvernement, mais pas à l’institution parlementaire et à chacun des membres qui la composent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Par conséquent, cet argument de forme n’est pas recevable et c’est naturellement en conscience que chacun a à se déterminer pour savoir si ce moment est le bon ou pas pour discuter du bouclier fiscal. Mais il s’agit là d’une appréciation personnelle et politique, évidemment pas juridique. Je regrette donc que notre collègue Denis Jacquat se soit placé sur ce plan qui, me semble-t-il, n’est pas le bon.

En ce qui concerne l’opportunité politique, on peut avoir une divergence avec ce que Pierre Méhaignerie vient d’indiquer, pour une raison assez simple : si chacun concède que le bouclier fiscal est devenu un symbole – qu’on le défende ou qu’on l’attaque –, chacun doit reconnaître aussi qu’au-delà du symbole c’est un verrou. Aussi loin qu’aille cette réforme dans les efforts à demander aux salariés – et je fais partie de ceux qui pensent qu’elle va très loin –, ces efforts ne suffisent pas à équilibrer les régimes de retraite, ni l’année prochaine ni dans dix ans.

Je me suis permis de le dire : les régimes de retraite ne sont équilibrés qu’en amalgamant le régime de base et les régimes complémentaires.

Au demeurant, les rapporteurs des commissions saisies au fond et pour avis l’ont dit dans leurs rapports, que j’engage chacun à lire attentivement : si les tableaux fournis par le pouvoir exécutif y sont loyalement décrits, il est également indiqué que les rapporteurs n’ont pu avoir accès aux documents budgétaires, régime par régime, démontrant l’équilibre de chacun de ces régimes année après année. La raison en est simple : ces régimes ne sont pas équilibrés. La CNAV – le principal régime de base – ne l’est pas. C’est Danielle Karniewicz elle-même qui le dit, chiffrant ce déficit à 3,2 milliards en 2018 et à 4 milliards en 2020. Dès l’année prochaine, ce déficit existe.

M. Pascal Terrasse. Bien sûr ! C’est évident.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Parce que le bouclier fiscal est un verrou et qu’il est quand même difficile de demander davantage encore aux salariés, on peut juger que le débat sur le bouclier fiscal est pertinent. En effet, si ce ne sont pas les salariés qui paient ce qui manque, il faut bien le récupérer autrement, c’est-à-dire par les prélèvements obligatoires, ce que, politiquement, vous ne pouvez pas faire, sauf à accepter que ceux qui bénéficient du bouclier fiscal ne contribuent pas à l’effort général.

Il est vrai que votre réforme prévoit deux milliards de prélèvements exonérés du bouclier fiscal sur un effort total de 30 – étant entendu, monsieur le secrétaire d’État, que je mets de côté les fameux 15 milliards. De même, 2 milliards de recettes sont demandés aux entreprises. Cela signifie que le solde – et ce n’est pas rien sur un effort total de 30 milliards – est à la charge des salariés.

Charles de Courson a exercé son talent, que l’on sait grand, pour condamner un projet alternatif, mais il a été assez sévère pour le projet que vous défendez, monsieur le ministre et mes chers collègues de la majorité. Si cette réforme prévoyait un équilibre réel des régimes de retraites, pourquoi Charles de Courson aurait-il proposé une augmentation du forfait social ou une augmentation de la CSG pour les retraités ?

Il fait partie, que je sache, de la majorité présidentielle. Augmenter la CSG des retraités n’est pas une mesure politiquement anodine et, si l’un des vôtres, qui jusqu’à présent a toujours été loyal à la majorité présidentielle, indique à l’occasion de ce débat qu’il serait probablement nécessaire d’augmenter la CSG des retraités pour arriver à l’équilibre des régimes, c’est que, a contrario, votre projet ne prévoit pas cet équilibre.

Il a donc été sévère pour un projet alternatif, mais il ne me semble pas qu’il ait été conciliant pour le vôtre, sauf à juger qu’il est conciliant de demander l’augmentation des prélèvements obligatoires que constituerait une hausse du forfait social et de la CSG.

À propos du forfait social, d’ailleurs, nous savons depuis cet après-midi que la Cour des comptes préconise un relèvement du forfait social de 4 % à 19 %, précisément pour restaurer les finances sociales, la Cour estimant qu’il manque 15 milliards, non pas pour arriver à l’équilibre mais pour tendre vers l’équilibre.

Le bouclier fiscal suscite un débat ; je fais partie de ceux qui pensent que ce débat serait opportun dans le cadre de ce texte-ci.

M. Pascal Terrasse. Bien sûr !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Sauf à nous démontrer, ce qui n’a pas été le cas, qu’on atteindra grâce ce projet de réforme l’équilibre des régimes de retraites, il faudra bien en effet trouver quelque part les financements manquants – Charles de Courson l’a implicitement admis.

Autrement dit, il faudra augmenter les prélèvements obligatoires. Ils sont – nous le savons tous – élevés en France si on les rapporte au PIB. Mais en Grande-Bretagne, les cotisations retraite ne sont pas comptabilisées dans les prélèvements obligatoires, ce qui biaise évidemment les comparaisons ; en Allemagne, le PIB est beaucoup plus élevé et progresse différemment cette année. Il ne faut pas l’oublier.

Alors vous pouvez, c’est vrai, refuser ce débat. Mais il faudra qu’il ait lieu. Chers collègues, cher Pierre Méhaignerie, qui évoquez une tranche supérieure de l’impôt sur le revenu, nous nous demanderons alors si vraiment un impôt sur le patrimoine doit être remplacé par un impôt sur le travail. Je pense, quant à moi, qu’un impôt sur le patrimoine ne peut être remplacé que par un impôt sur le patrimoine – sinon, on favorisera une nouvelle fois la rente au détriment du travail. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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